«Mort aux Teddy Bears»
Souvent, le jeune enfant aime un toutou, une poupée, même sa douillette, en quelque sorte une prise au sol pour lui, la première autonomie, une complicité faisant renaître sa confiance, un instant échappée.
Tout juste au début du 20e siècle, fait nouveau, il peut se retrouver ami d’un ourson. À Montréal, le 21 juillet 1907, un chroniqueur de l’hebdo Le Bulletin trouve cela intolérable.
Dussions-nous courir le risque d’être dévorés vivants par ces affreuses bêtes qu’on appelle «Teddy Bears» et encourir le courroux des mères qui les donnent comme jouets à leurs enfants, nous sommes résolus de dénoncer cette mode qui domine aujourd’hui aux États-Unis et qui menace de s’implanter chez nous.
L’on ne peut faire cent pas sur la rue sans rencontrer une fillette aux boucles blondes et tenant serré dans ses bras potelés une affreuse bête velue, grimaçante, tordue dans des contorsions grotesques, monstres que nos chéris apprennent à aimer et à dorloter comme des poupées, Il y en a pourtant et de toutes les couleurs : des ours blancs du pôle nord, des ours gris des montagnes, des jaunes et des noirs. C’est une invasion, une calamité, disons le mot une honte !
Sincèrement nous ne connaissons pas de mode plus ridicule, plus sotte, ni plus dégradante que celle qui consiste à amuser nos enfants en leur donnant comme compagnons de jeu des animaux féroces, fussent-ils en laine.
C’est tout simplement un moyen sûr de fausser l’état d’âme de l’enfance et de violer les règles de la société chrétienne, dont l’objectif suprême est le respect de la famille et l’amour du prochain.
Obéissant à son instinct naturel, celui que Dieu a mis au cœur de l’homme en le mettant sur la terre, l’enfant, dès qu’il peut dégager dans son petit cerveau les divers sentiments qui y logent, cherche l’objet qu’il pourra chérir et protéger. C’est alors que l’instinct maternel intervient et donne au poupon sa première poupée.
Celle-ci devient vite un personnage qui a sa place dans la maison, partage les joies, les peines, les colères mêmes de l’enfant, qui, sans s’en douter, fait son apprentissage de la vie. C’est la loi humaine, la loi divine !
Où est aujourd’hui la poupée d’antan ? Que sont devenues les petites mamans d’autrefois… […]
C’est un scandale !
Des fabricants de jouets, dénués de tout sentiment et n’agissant que dans un but de lucre, ont inventé cette horreur. Ils ont lancé à la tête de nos femmes, de nos mères, des milliers de ces vilaines bêtes, en les invitant à les offrir à leurs enfants. La mode s’est emparée de cette fadaise et des femmes ont été conquises. Sans souci de la gravité de leur acte, frivoles et légères, elles ont acheté le «Teddy Bear», et, le soir, bébé s’endormait aux côtés du monstre, devenu son «petit frère».
Du train que l’on y va à Montréal, il y aura bientôt des ours dans toutes les familles !
C’est une vraie ménagerie ! De grâce qu’on mette fin à ce scandale ! Qu’on revienne à la raison et au bon sens !
Ne violons pas ainsi de gaieté de cœur une des lois les plus sacrées de la nature : l’amour maternel, et revenons aux belles et bonnes poupées d’antan !
Mort aux «Teddy Bears» !
G. RIEN.
L’ours en peluche est apparu après une aventure, en 1903, du président américain Teddy Roosevelt. À ce sujet, voir ce billet.
Hilarant! Il serait fort réjouissant d’entendre notre ami Sigmund commenter ce virulent discours…
Pour ma part, vive les oursons de tout acabit!
Je trouve que ce G. Rien a bien tort. Dès la sortie du sein de sa mère, l’enfant entreprend une longue marche vers l’autonomie, il n’a pas le choix. Et ce premier ourson est déjà une personnification avec laquelle l’enfant entre en relation, sans que sa mère ne soit présente. À mes yeux, c’est tout à fait sain. J’ai eu, moi aussi, mon ourson. Il portait le surnom d’un des frères de ma mère, Poune. Et allez savoir pourquoi mon ourson est devenu mon Poune.