Un hommage au chou
Cet hommage est d’Émile Gauthier et paraît dans La Patrie du 25 mai 1903.
Le chou n’est qu’un pauvre légume, tout ce qu’il y a de plus démocratique dans la république horticole. C’est sans tapage et sans mise en scène que cette humble crucifère porte sa croix dans nos jardins, sur nos marchés, dans nos cuisines, et vous ne le verrez jamais s’en faire accroire comme l’asperge, par exemple, ou comme l’hypocrite melon.
Par nature, le chou est modeste, même quand il est frisé. On aurait tort pourtant d’en médire ou de le dédaigner car il sait nous rendre à l’occasion d’inappréciables services.
Tout d’abord des services culinaires.
Il faut être un barbare, en effet, ou avoir totalement perdu le sens du goût, pour ne pas lui rendre hommage quand il se présente sous les espèces et apparence d’une soupe onctueuse et parfumée ou, mieux encore, autour des flancs dorés d’une perdrix «revenue» à point. Même aigri, fermenté, transformé en choucroute par l’action d’un microbe «sui generis», le chou reste encore un régal, dont point n’est besoin d’être Alsacien pour savourer les délices.
À ce point de vue — le premier qui s’offre à l’esprit —le chou n’a qu’un tort : c’est d’être d’une digestion trop difficile pour convenir à tous les estomacs. Le suc aromatique qu’il contient est d’une âcreté féconde en flatulences, en coliques, en dyspepsies, que la cuisson ne suffit pas toujours à corriger. Nombreux, hélas ! sont ceux que la prudence, mère de la sûreté stomacale comme de toutes les sûretés, condamne à s’abstenir de cette joie de la vie; nous n’avons qu’à plaindre notre sort.
Dans un autre ordre d’idées tout différent, dans l’ordre grammatical, le chou tient encore sa place, et beaucoup plus que la plupart des autres légumes, il a contribué à enrichir la langue.
Ne lui devons-nous pas certaines expressions pittoresques — «planter ses choux», «être dans les choux», «naître sous un chou», «faire ses choux gras», «bête comme un chou», etc. — qui ne manque pas d’une certaine saveur ? Sans parler des métaphores, telles que : «un chou à la crème», «un chou de rubans» dont pâtissiers et couturières auraient peine à se passer. Il n’est pas jusqu’au doux verbe d’amour qui n’ait réquisitionné ce symbole et «mon chou» vaut bien «mon lapin» ou «ma crotte en or».
Je ne pouvais m’imaginer autrement que Serge Bouchard lisant ces lignes à voix haute! Le style est relativement semblable. Merci pour le partage! Bruno
C’est bien vrai, on dirait qu’il y a du Bouchard là-dedans. Je n’y avais pas pensé. Merci à Vous.