«Mars est-il habité ?» (Premier de deux billets)
Dans les journaux québécois anciens, je me réjouis d’attraper soudain un texte de l’astronome français Camille Flammarion (1842-1925). Il aime, comme il le dit, voyager dans le ciel. Depuis les récents progrès de l’astronomie, «nous avons cessé de ne voir là [dans le ciel] que des points matériels brillant dans l’espace, et nous songeons qu’il peut exister sur ces autres globes des humanités pensantes dont nous sommes séparés, il est vrai, par d’immenses distances, mais qui peut-être, elles aussi, en voyant notre petite terre suspendue dans leur ciel, se demandent s’il y a ici des êtres pensants et des contemplateurs».
Lorsqu’on sait que ce sont là des mondes, lorsqu’on sait que chaque étoile est un soleil environné de séjours inconnus, successivement découverts par l’analyse, on ne peut contempler le ciel étoilé sans deviner par la pensée ces humanités lointaines qui sont là ce qu’ici nous sommes; le spectacle du ciel se transfigure et, devant l’abîme d’infini et d’éternité ouvert devant nos yeux, l’âme sent, comprend que l’astronomie est la première des sciences, et que si jamais nous parvenons à déchiffrer l’énigme de l’univers, c’est elle qui aura soulevé le voile.
Voici un texte généreux de Flammarion qui fait la une de La Patrie du 6 février 1897 : Mars est-il habité ?
La Terre est un astre, et nous habitons une province du ciel, une île minuscule de l’immense archipel. Elle est la troisième des planètes qui gravitent autour du soleil, et son cours céleste s’effectue entre l’orbite de Vénus et celle de Mars. Nous sommes dans le ciel, comme si nous habitions l’une de ces deux planètes voisines.
De ces deux îles célestes, Mars vient vraiment d’entrer dans la sphère de notre observation pratique, depuis quelques années surtout, et pouvons-nous dire, particulièrement depuis deux mois. C’est le seul monde d’ailleurs, dont nous connaissions complètement l’ensemble de la configuration géographique, car la Lune, beaucoup plus proche de nous, n’est connue qu’à moitié, puisqu’elle nous présente toujours le même hémisphère.
Et la Terre elle-même est incomplètement connue des géographes, puisque personne n’a encore vu ni le pôle nord, ni le pôle sud, ni certaines régions de l’Afrique centrale, de l’Asie orientale et de l’océan Pacifique.
La carte géographique de Mars est, au contraire, entièrement faite, et ses régions polaires sont aussi exactement connues que ses zones équatoriales. Remarquons tout de suite, d’ailleurs, qu’il n’y a rien d’étonnant en ce résultat; pendant ses périodes favorables d’observation, Mars se montre constamment à nous éclairé en plein par le soleil, et, de plus, son atmosphère reste presque toujours pure, transparente et sans nuages. C’est un pays où il fait toujours beau. […]
Sur Mars, il n’y a rien de pareil. La planète est bien environnée d’une atmosphère comme la nôtre, mais la vapeur d’eau ne s’y condense presque jamais en nuages, le ciel n’y est presque jamais couvert, et il n’y pleut presque jamais.
La vapeur d’eau va surtout se condenser autour des pôles sous forme de neige. Cette neige s’étend jusqu’au 60e degrés de latitude, et même parfois plus loin encore, soit jusqu’aux latitudes correspondant à celles de Fort William, St-Petersbourg, Stockholm, Moscou, Edimbourg, Copenhague. C’est à peu près ce qui arrive sur notre globe au cœur de l’hiver.
Les saisons sont deux fois plus longues que chez nous. Pendant l’été, les neiges fondent graduellement, presque entièrement, presque jusqu’au pôle du froid, beaucoup plus complètement que sur notre globe, car tout le monde sait que les glaces polaires ont arrêtées jusqu’ici toutes les expéditions parties à la découverte du pôle nord comme du pôle sud.
Cette fusion presque complète des neiges polaires donne naissance à une grande quantité d’eau liquide, qui d’abord forme une mer, variable d’étendue, et de là est dirigée sur toute la surface de la planète par un réseau géométrique de canaux rectilignes qui se croisent dans tous les sens et vont porter à travers les continents les principes de fertilité.
Comme il ne pleut presque jamais, cette circulation horizontale des eaux est de la plus haute importance, et elle représente sous une autre forme la circulation atmosphérique terrestre que nous rappelions tout à l’heure.
Ces canaux ne sont pas constamment visibles. On les observe surtout en été, après la fonte des neiges, et parfois on les voit se dédoubler. Alors, au lieu d’une seule ligne droite, on en voit deux, parfaitement parallèles entre elles et d’une régularité absolue. L’intervalle compris entre les deux lignes est généralement foncé. […]
Ainsi, vue dans son ensemble, la planète Mars nous montre à sa surface : 1) des taches sombres qui ont reçu le nom de mers, 2) des taches blanches éblouissantes aux pôles (et parfois en d’autres régions) qui représentent des neiges et varient avec les saisons, 3) de grandes lignes droites jetant comme un réseau géométrique sur toute la surface, et 4) des lacs ou oasis aux points d’intersection des canaux. Il s’agit d’interpréter ces aspects.
Demain : la suite de ce texte de l’astronome Camille Flammarion sur Mars.