Le bonheur du temps où nos grand-mères nous racontaient des histoires à dormir debout !
Un quidam, qui signe J. Grignon, dans La Gazette de Joliette du 7 novembre 1882, ne peut que se réjouir de ce temps où il était de tradition que les grand-mères soient conteuses d’histoires incroyables.
Il n’est pas un de nos campagnards canadiens qui n’ait connu dès sa plus tendre enfance la tradition vulgairement appelée chasse-galerie. C’est un de leurs plus doux souvenirs que celui de ces longues soirées d’hiver. Aux marmots encore, grand’mère les accueillait sur ses genoux pour faire passer devant leur imagination ardente, à la lueur fauve de l’âtre pétillant, les tableaux de l’âge merveilleux du Canada.
Et quels tableaux ! Tantôt une voiture qui s’acheminait vers le moulin, prenait à l’improviste un élan vertigineux et allait tourbillonner dans la nue pour revenir sans encombre à son point de départ. Tantôt une vieille rechigneuse et toute cassée, s’élançait malgré la pesanteur de ses quatre-vingt-dix-neuf ans, et courait claquer le pas sur la rafale ou danser une de ces bacchanales que le violon de Paganini ou du bonhomme X de la côte X a seul le secret de cadencer.
L’air était rempli de lugubres hurlements, d’aboiements sinistres et de plaintives lamentations. Les visions de loups-garous, de revenants, de farfadets et de lutins étaient à la mode du jour.
On voyait parfois passer à la tête des grands pins de la forêt des canots pleins de mauvaises gens à l’aspect d’enfer, qui chantaient et festoyaient pendant que les avirons battaient l’air en cadence.
O horreur ! le voisinage, depuis quelques soirs, avait signalé, la chose était certaine, la présence d’un homme… sans tête, qui errait autour des habitations.
Les grand’mères d’aujourd’hui se font un scrupule de passer à la génération nouvelle le précieux dépôt de cette tradition qu’elles ont elles-mêmes recueillie de leur aïeule. Elles sont même assez honnêtes pour remettre à leurs neveux tous les intérêts composés dont ce dépôt s’est grossi entre leurs mains.
Mais l’enfant se faisant homme, à mesure qu’il se dégage des liens de son imagination, éprouve une tendance à devenir assez incrédule pour reléguer cette tradition au nombre des contes de fées.
Cependant, ces récits, dépouillés d’ornements que la suite des grand’mères est venu leur ajuster, laissent un fond de vérité qu’il importe aux Canadiens de connaître parce qu’il en ressort une leçon importante sur l’histoire de notre sol natal.
La gravure «Pendant la messe de minuit», une composition de Georges Delfosse (1869-1938), fut publiée dans Le Monde illustré du 22 décembre 1900. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec au descripteur «Grand-mères».
Sur la chasse-galerie, voir ces billets où il en est fait mention.