Les sorciers normands
En juillet, dépouillant le journal La Patrie pour l’année 1908, je suis resté étonné de l’article d’un jeune militaire français H. de Lanrezac. Son propos — écrit spécialement pour La Patrie de Montréal — paraît dans ce quotidien le 7 juillet 1908 sous le titre «Les sorciers normands».
Selon l’auteur, les sorciers, dans l’histoire de la Normandie, avaient beaucoup de pouvoir sur les populations. Mais, au début du 20e siècle, les Normands ne croient plus à l’influence de ces derniers que sur les animaux. Et de Lanrezac dit qu’il s’en trouve de trois types. Suivons-le.
Il y a en Normandie trois catégories (en dehors des vétérinaires) qui jouissent du pouvoir de guérir les animaux malades.
1. Les sorciers ordinaires, qui accumulent et sont en même temps vétérinaires et médecins. […]
2. Les bergers. En Normandie, les bergers tendent à disparaître. L’ancien type, couvert d’une longue houppelande, qui s’en allait par les champs, presque toujours seul avec ses bêtes, des moutons surtout, n’existe plus dans la vieille province française qu’à l’état d’exception. Le gardien de troupeaux s’est lui aussi civilisé et il n’a plus l’air sauvage qu’il possédait jadis.
Les bergers néanmoins jouissent encore d’une mauvaise réputation. Ils peuvent jeter des sorts et malheur au voyageur qui passe auprès d’eux sans les saluer. Ils connaissent les herbes qui conjurent les mauvais sorts et font fuir les esprits méchants; mais ils savent aussi appeler à leur aide ces mêmes esprits, quand ils le désirent.
En réalité, les bergers formaient jadis, en Normandie comme ailleurs dans les autres provinces, une sorte de confrérie fort bien organisée, qui ne craignait pas parfois d’utiliser le poison pour se venger de ceux qui ne la respectaient pas. […]
3. Enfin les toucheurs d’animaux. L’art de ces guérisseurs ne s’exerce qu’à propos de certaines maladies bizarres qui s’attaquent aux bestiaux. Le toucheur s’enferme dans l’étable ou l’écurie avec l’animal compromis. Que se passe-t-il, nul ne doit le savoir; quand le toucheur sort, l’animal, dit-il est guéri.
Naturellement, tous ces sorciers sont un peu charmeurs d’animaux. Grâce à certaines plantes dont ils expriment le jus pour s’en enduire, ils n’ont, en général, rien à craindre des animaux qu’ils manient, mais le vulgaire qui ignore le truc employé ne voit là qu’une manifestation de leur puissance surnaturelle.
Les charmeurs de serpents étaient extrêmement rares en Normandie. Ceux qu’on rencontrait jadis dans cette province étaient des étrangers. Les preneurs de rats et de taupes étaient plus nombreux. Enfin, dans beaucoup de villages, surtout ceux du Cotentin, on croyait au meneur de loups.
«Oui, monsieur, je l’ai vu, moi qui vous parle, il traversait la plaine suivi de deux grands loups, la nuit n’était pas encore tout à fait venue et, si je n’ai pu distinguer ses traits, j’ai bien vu sa silhouette et celle de ses animaux.» Ainsi me répondit un vieux Normand à qui je demandais s’il avait jamais vu le terrible sorcier.
C’est qu’en effet, le malin meneur de loups existait : c’était un homme habile, suivi de deux grands chiens au poil ébouriffé qu’il avait dressés à marcher sans aboyer. La terreur qu’il inspirait le mettait à l’abri des regards trop indiscrets. Dans le jour tombant où, sous l’indécise clarté de la lune, il devait avoir une apparence effrayante, bien faite pour terrifier ceux qui le rencontraient.
Et ainsi dans beaucoup de cas peuvent s’expliquer le pouvoir dont jouissent encore dans les campagnes normandes les rebouteurs, sorciers, jeteurs de sorts, meneurs d’animaux sauvages.
La croyance du merveilleux est trop enracinée dans le cœur de l’homme pour qu’il soit possible de l’en extirper complètement. Du moins peut-on diminuer dans une certaine mesure l’influence néfaste des magiciens en développant l’instruction des paysans.