Laboureur, prenez garde à la routine
Le 23 août 1880, à la une, le quotidien montréalais La Patrie reprend un texte de la Gazette des campagnes, publiée à Sainte-Anne-de-la-Pocatière. On sent le besoin de prévenir que, si la routine a sa place, elle peut aussi scléroser.
Un laboureur qui tient chaque jour pendant huit heures la queue de sa charrue, qui est obligé de porter attention sur la quantité de terre qu’elle prend, sur la profondeur à laquelle elle pénètre, sur la rectitude de la ligne qu’elle parcourt, sur les immondices dont elle se charge, sur la marche des animaux qui la traînent, etc., peut acquérir beaucoup d’expérience dans le labourage du local qu’il cultive, et donner d’excellentes notions sur le meilleur mode de le faire.
Mais il ne peut améliorer le labourage en général, parce que ce n’est qu’en voyant labourer avec beaucoup de sortes de charrues, dans les terrains de très différente nature, avec des animaux de plusieurs sortes, etc., qu’on peut acquérir les dispositions propres à réfléchir sur ces améliorations et par conséquent à les concevoir.
Souvent un homme éclairé qui verra travailler pendant une heure ce laboureur sera plus instruit que lui sur les motifs qui le font agir, et pourra lui donner des indications utiles auxquelles il n’eut jamais pensées de sa vie.
L’habitude de méditer est un avantage dont jouissent peu de cultivateurs, et comment pourraient-ils l’acquérir cette habitude, puisqu’elle est l’enfant du repos du corps et de la tranquillité d’esprit, et que les cultivateurs sont presque partout constamment écrasés sous le poids des travaux, et tourmentés par des inquiétudes toujours renaissantes.
Il ne faut donc pas croire qu’il suffise d’avoir ce que l’on appelle communément de l’expérience en agriculture pour être bon cultivateur; souvent même cette expérience, qui est la vraie routine, comme nous l’avons fait remarqué plus haut, s’oppose à toute amélioration. On ne veut pas changer de méthode uniquement parce qu’elle a été suivie par ceux qui nous précédaient.
Quel est le voyageur éclairé qui n’ait pas eu à gémir des réponses des cultivateurs, à qui il prouvait, par des raisonnements et des faits, qu’il était de leur intérêt d’introduire telle culture, de modifier la leur de telle manière, etc.
Certainement, il serait ridicule d’exiger que tous les laboureurs ou tous ceux qui sont à l’emploi des cultivateurs fussent instruits sur la théorie des sciences sur lesquelles les fondements de l’agriculture reposent. Mais les véritables amis de l’agriculture doivent désirer que l’éducation agricole de tous ceux qui prennent part aux travaux de la culture soit moins négligée, qu’au lieu des absurdes préjugés dont ils sont imbus, on leur inculque dès l’enfance des principes généraux propres à les guider pendant toute leur vie.
La photographie de M. Prévotat, prise vers 1920 et proposant un laboureur dans son champ à Saint-Laurent de l’île d’Orléans, provient de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Collection initiale, Photographies, cote : P600, S6, D5, P1031.