Un lieutenant-gouverneur au train de vie luxueux
Les critiques au sujet de l’utilité de la fonction de lieutenant-gouverneur au Québec, le représentant de la reine d’Angleterre, ne datent pas d’hier. À quoi sert-il vraiment ? Objet d’apparat ? Rappel du moment où l’Angleterre était «propriétaire» des 27% des terres sur notre Planète ?
Chose certaine, il s’en est trouvé au moins un qui roulait carrosse doré au Québec, Théodore Robitaille.
Cyprien, le chroniqueur du quotidien montréalais La Patrie, du 8 avril 1882, ne manque pas d’«illustrer» à sa manière le train de vie de ce lieutenant-gouverneur.
Un qui s’amuse encore plus que les Américains, c’est notre excellent seigneur de Spencer Wood et autres lieux, M. de Robitaille !
C’est pas ça qui se mouche avec des pelures d’oignon ni des portes de grange.
Il élève les petits cochons, c’est sa spécialité; mais il ne les engraisse pas avec de la lavure de vaisselle, je ne vous dis que ça !
Non !
Rien que $9,400, pour ces intéressants petits pachydermes ! Il doit en rester un peu pour les veaux, pas possible.
Le seigneur de Robitaille est un homme qui, non seulement aime les petits cochons, mais encore est frileux.
L’hiver n’a pas été dur, cependant; et bien, il a dépensé $3,300 pour se chauffer.
Disons de l’érable à $5 la corde, cela fait 666 cordes !!!
A-t-il dû jouir !
Aussi il a besoin de prendre l’air souvent, car ses voitures de louage à Québec lui ont coûté seulement $1,271 !
C’est probablement pour ne pas créer de jalousie entre les cochers de Montréal et de Québec que, dans l’espace de trois ou quatre jours qu’il a passés chez nous, il a trouvé le moyen de dépenser $180 pour sa voiture.
À 25 cts la course, il a dû s’en payer, le gaillard !
Ce qui me surprend, c’est qu’il ait trouvé le moyen, tout en voyageant ainsi, de dépenser $900 au Windsor !
À peu près $150 par jour. Il faut être habitué à vivre richement, sapristi !
Voilà un homme qui nous fait honneur au moins, ce n’est pas comme ce M. Letellier [son prédécesseur à ce poste de lieutenant-gouverneur] qui lésinait sur tout, ah bien, oui !
Je me demande seulement une chose. Nous donnons $10,000 par an à M. de Robitaille pour présider le conseil de nos ministres, pour réciter en uniforme leur petit boniment au commencement de chaque session, et s’asseoir pendant trois quarts d’heure à la fin de chacune, pour entendre sanctionner une vingtaine de bills par la voix enrouée d’un greffier quelconque. Il me semble qu’il pourrait, là-dessus, se chauffer, payer sa pension, se promener un brin et élever ses petits cochons !
Mais moi je suis un vil roturier qui n’entends rien aux mœurs de la noblesse. Ma parole d’honneur, je suis tellement vulgaire que j’aurais toutes les peines du monde à manger pour plus qu’une vingtaine de dollars par jour au Windsor, et à dépenser plus de la moitié de ce montant à voyager pendant ce temps-là autour de la montagne.
En tous cas, une chose bien certaine, c’est que si le seigneur Robitaille eût dû prendre tout cela sur ces $10,000, le compte aurait été un peu moins rond.
Je ne le jurerais pas; mais je le dis d’après quelqu’un qui a senti la chose tout de suite, comme cela, du premier coup; presque sans y songer.
Il y en a qui ont le don de la divination.
Moi je proposerais ceci.
Ce serait d’acheter tout de suite pour M. de Robitaille une couple de pur-sang avec voitures à demande, de prendre en charge immédiatement tous les petits cochons de Spencer Wood, et de donner sans délai à son excellence un intendant chargé de le nourrir, loger et chauffer aux dépens de l’État; je ne parle pas de le blanchir.
Bien sûr que la pays effectuerait par là une économie considérable. Car c’est un véritable saigneur que le seigneur de Spencer Wood !
La gravure de Théodore Robitaille provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec dans le Vieux-Montréal, Fonds Famille Bourassa, Gravures, cote : P266, S4, P99.