Les outardes convoitées de l’île Verte
Dès qu’arrive avril, on part de loin pour gagner l’île Verte, sorte de lieu de paix hors du monde dans le Bas-Saint-Laurent. C’est que l’outarde, la Bernache du Canada (Branta canadensis, Canada Goose), abonde et on y vient faire le coup de feu. La Gazette de Joliette du 27 avril 1888 y est présente.
Avec le premier avril, les outardes voyageuses nous sont arrivées par détachements journaliers. Je vous assure que l’avant-garde ou la première légion a été saluée de joyeux coups de fusil. Pas moins de vingt outardes ont été tuées ce jour-là. Depuis lors, une nuée de chasseurs de Québec, Lévis, Montmagny et d’ailleurs est venue s’abattre sur nos grèves encore enchaînées par la glace, attendant l’appoint de la marée poussée par un vent du Nord-Est, pour mettre en joue le précieux gibier et l’envoyer «ad patres» si possible.
La chasse aux outardes est exceptionnelle. Elle demande des aptitudes particulières, des connaissances assez étendues dans l’art de ruser et de tromper. Le chasseur doit connaître le point de marée et de bon vent, il lui faut de plus s’habiller de blanc des pieds à la tête pour que tout bon individu se confonde avec la neige. Un point noir se détachant sur la blancheur du sol suffirait à lui seul pour donner l’éveil à l’œil exercé de l’outarde, qui s’éloignerait dans une autre direction.
De plus, nos chasseurs d’ici gardent avec eux deux ou trois outardes domestiques qu’ils attachent à une longue corde. Elles vont vers le fleuve, s’abandent avec les outardes sauvages, et les amènent, inconscientes, jusqu’à portée de fusil du chasseur, qui ne se fait pas prier pour faire des victimes autant que possible.
Ceux qui n’ont pas pu se payer le luxe d’outardes domestiques se contentent de «babouins» ou simulacres d’outardes en bois ou en zinc peinturé, qu’ils placent de distances en distances sur la neige en avant d’un abri fait d’amas de glace ou de branches, appelé «gablon». Les uns et les autres vantent leur système, tout le monde tue des outardes, chacun vante sa journée et l’on est content.
Plus de 150 outardes ont, jusqu’ici, été abattues par nos différents chasseurs.
Ci-bas, cette magnifique photographie de six Bernaches du Canada, dont l’une albinos, fut prise par Gaston Plante à la Base de plein-air de Sainte-Foy, voilà trois ans. Merci beaucoup, Monsieur Plante.