La Nouvelle-Angleterre ou les forêts du Québec ?
À la fin du 19e siècle, les temps sont durs dans les manufactures de la Nouvelle-Angleterre où travaillent beaucoup d’émigrés québécois. Les salaires sont peu élevés, et souvent, plusieurs mois dans l’année, on se retrouve sans travail, donc sans revenu. De ce côté-ci de la frontière, on leur lance des appels de retour à la maison, leur proposant de revenir et de se faire colon sur des terres neuves, en pleine forêt. Un journal américain appelle au réalisme. Le quotidien de Québec Le Canadien, à la une du 2 novembre 1889, y fait écho.
Si nous ramenons cette question sur le tapis, c’est moins dans le but de la discuter de nouveau que de faire connaître en cette matière l’opinion d’un journal français des États-Unis, L’Indépendant, de Fall River [Massachusetts].
L’Indépendant ne repose aucune confiance dans le succès des sociétés qui s’organisent de temps à autre pour rapatrier nos compatriotes fixés sur la terre américaine.
La province de Québec, dit-il, agirait plus sagement en faisant défricher ses terres par les Canadiens qui ne l’ont pas encore quittée, au lieu de chercher à égarer dans les forêts ceux qui, en égard à leur résidence dans une nouvelle patrie et à leur expérience dans les centres industriels américains, ne sont plus en état d’affronter les rigueurs de la vie de colon canadien. Le plus pauvre ouvrier de nos fabriques aime encore mieux son salaire hebdomadaire ou mensuel à la perspective problématique du défricheur. Il aime mieux l’existence au sein d’une ville que la carrière de bûcheron et la cuisine primitive du «faiseur de terre neuve».
Nous ne prétendons pas que le colon canadien n’est pas un homme aussi utile à la société ou à son pays que l’ouvrier de fabrique, et qu’il n’y a pas des avantages à considérer dans la vie du pionnier de la forêt. Nous ne disons pas non plus que les Canadiens des États-Unis n’auraient pas mieux fait, pour un grand nombre du moins, de rester au Canada.
Mais nous constatons le fait qu’il y a évidemment une classe de Canadiens plus aptes en raison de leur expérience, du milieu où ils vivent, etc., à faire le rude métier de colon, que ne le seront jamais les Canadiens des États-Unis.
Ceux qui ont amassé de l’argent ici seraient imprudents d’aller le dépenser sur une incertitude au Canada; ceux au contraire qui n’ont pas fait d’économie aux États-Unis ne sont pas en position d’aller mettre les terres boisées du Canada en état de culture.
L’illustration d’une famille de colons vers 1930 devant leur maison à Sainte-Monique-de-Honfleur, dans la région du lac Saint-Jean, provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds L’Action catholique, Dossiers de documentation du journal, Documents iconographiques, Cote : P428, S3, SS1, D18, P39.