Si j’étais maître d’école
J’ignore tout de ce Léon Clery qui propose ce texte dans le quotidien montréalais La Patrie du 23 avril 1900 et où il se fait partisan de la bonté pour les bêtes. Et à lire son propos, on se dit «Il en faudrait tellement davantage de cette sorte dans les médias d’aujourd’hui».
Comme disent les Anglophones : Enjoy.
Si j’étais maître d’école, je m’appliquerais à tourner l’esprit et le cœur de mes petits élèves du côté de la pitié pour les animaux. […] Je leur dirais que la solidarité sur ce globe, selon la belle pensée de Fourier, est plus étroite qu’ils ne le pensent; que tout acte de compassion, de charité, de tendresse, quel qu’en soit l’objet, a des irradiations infinies dont l’évolution nous échappe : qu’il s’en dégage comme une sorte d’effluves invisibles pénétrant le monde moral !
Donc si j’avais affaire à eux, en qualité de maître d’école, je voudrais les initier aux mœurs des animaux leurs voisins; les intéresser aux nids, dont la destruction, en les privant d’auxiliaires utiles, ne leur donne pas d’autre plaisir que la perte de la couvée. Je leur montrerais le père et la mère oiseaux, construisant ces frêles berceaux avec des plumes arrachées à leur ventre, s’ingéniant et s’exténuant à chercher la nourriture attendue par tous ces petits becs dressés vers eux; je voudrais les rendre attentifs à tout ce travail de ces gentils êtres, à l’ingéniosité des hirondelles, à l’industrie des abeilles, au gouvernement des fourmis et je leur mettrais au cœur l’envie de chercher, dans ce petit monde, des camarades et des amis.
J’essayerais de leur faire comprendre qu’entre eux et ces «frères inférieurs», il n’y a pas tant de différence qu’ils le croient; que la dure loi du travail, qu’ils connaissent déjà par l’exemple de leurs parents, pèse d’une façon absolue sur tous les habitants de leur planète; et qu’entre le maçon élevant leur maison et la taupe construisant la sienne, il y a bien des points de ressemblance dans la dureté de l’effort, dans l’intelligence déployée et dans l’énergie dépensée.
Puis je leur montrerais l’âne si doux, si intelligent quand il est bien traité; le cheval si dur au mal, si résigné et si affectueux à ceux qui le comprennent et l’aiment; et le chien; et le chat lui-même, dont je leur apprendrais à comprendre la grâce, le souplesse, la fierté et l’utilité; car il en faut toujours revenir là, et c’est là que j’en reviendrais, à savoir qu’un animal quel qu’il soit, bien traité et bien nourri, rapporte plus de toute façon qu’un animal négligé et maltraité.
Mais, peu à peu, je voudrais laisser de côté ce profit étroit et misérable de la bonté.
Je leur dirais qu’ils ont une conscience et que leur conscience, c’est-à-dire le juge de toutes leurs actions, croit se trouver mal à l’aise quand ils ont commis une cruauté envers une bête. Je le prendrais par le point d’honneur en leur montrant que c’est une lâcheté que de maltraiter un animal qui ne se défend pas. Je les habituerais à entrer en relation plus étroite avec ces compagnons de leurs travaux et de leurs jeux. Je voudrais qu’ils en arrivassent à connaître tout ce qu’il y a de tendresse dans l’œil du chien, de sérénité dans l’œil; du bœuf, de philosophie dans celui de l’âne et de patiente résignation dans celui du cheval.
Je leur apprendrais que leur corps, construit comme le nôtre, obéissant aux mêmes lois, éprouve les mêmes souffrances, et je leur donnerais de l’horreur pour la souffrance inutilement infligée à ces animaux.
Je leur dirais que j’ai connu des chiens bien meilleurs, bien plus intelligents et bien plus nobles que leurs maîtres, et que si c’est la réunion de ces qualités qui fait l’âme, il faut tenir pour probable que ce sont ces chiens qui sont dignes d’être des hommes, tandis que j’ai connu des hommes qui ne seraient pas dignes d’être des chiens.
Et quand j’aurais amené mes petits paysans à la pitié et à l’amour pour les animaux, j’en aurais fait des petits humains bons et tendres pour les hommes.
C’est une erreur, voyez-vous, de croire qu’il y a deux espèces de cœurs, les uns sensibles aux gens et durs aux bêtes, et les autres sensibles aux bêtes et durs aux gens. Quand on est bon, on est bon pour tout le monde; c’est comme quand on est bête, on n’a d’esprit pour personne.
J’ai rencontré des personnages pieux et charitables même, dont le cœur était absolument fermé à la souffrance animale; je n’ai jamais rencontré de gens humains pour les bêtes qui fussent mauvais pour les hommes.
Voilà ce que je ferais si j’étais maître d’école et sans négliger la lecture, l’écriture et l’arithmétique, je formerais des générations fortes et douces; douces parce qu’elles seraient fortes et qu’il n’y a rien qui donne mieux la mesure de sa dignité à un enfant que de sentir qu’il peut protéger un être plus faible que lui.
Tout le monde ne peut pas protéger ses semblables, mais le plus humble peut protéger un animal, et cette action, si simple quand elle devient familière et qu’elle s’adresse à beaucoup d’êtres, attendrit le cœur, élève l’esprit et fortifie l’âme.
Il y a peu d’hommes faisant le mal par goût pour le mal. Quand nous voyons un charretier maltraiter son cheval, le premier mot qui nous monte aux lèvres est : «Quelle brute !» Ce qui veut dire que si cet homme avait reçu notre éducation, s’il avait été accoutumé de vivre dans notre milieu moral et intellectuel, il ne commettrait pas cette cruauté qui nous révolte.
Donnons-lui tout jeune cette sensibilité, cette intelligence des justes rapports entre l’homme et la bête, cette faculté d’émotion pour une souffrance imméritée, lâchement et injustement distribuée; en un mot, dégageons l’homme de la brute que nous sommes tous, au sortir du sein de notre mère, commençons par le bas de l’échelle, l’éducation des mœurs et le progrès vers la charité, la justice et la compassion, et vous verrez que dans quelques générations, nous aurons moins de mauvais charretiers (les automobiles aidant) et beaucoup plus d’hommes de cœur.
Vous avez tout à fait raison. Encore merci pour cette trouvaille
Merci beaucoup à Vous, chère Marielle. Bien beau dimanche.