Que se passe-t-il à la statue de la Liberté ?
En 1886, pour célébrer le centième anniversaire de l’indépendance américaine, la France fait cadeau aux Américains de la statue de la Liberté. Mais que s’y passe-t-il donc la nuit, quand tout dort ?
Dans Le Monde illustré du 22 février 1896, Léon Ledieu rapporte qu’on préfère se tenir loin d’elle, le soir.
On dit qu’aussitôt le soleil couché et les étoiles allumées au firmament, des bruits étranges, provenant de l’intérieur de la statue, se font entendre, des bruits de chaînes et entraînés sans doute par quelque ronde macabre, disent les bonnes gens timorés.
Personne n’ose s’aventurer la nuit dans le voisinage de l’endroit où miss Liberty se dresse fièrement, le bras levé et éclairant au loin les navires arrivant de toutes les parties du monde, et nul ne parle de ces choses fantastiques sans éprouver un petit frisson assez désagréable.
Si tout ce que l’on raconte est vrai, miss Liberty n’est qu’une vulgaire plagiaire de feu Memnon, avec cette différence toutefois que celui-ci n’agissait pas tout à fait comme sa moderne imitatrice, puisque la statue de Memnon faisait entendre des sons harmonieux, aussitôt que les rayons du soleil venaient la frapper.
Ce fait affirmé très sérieusement par nombre d’écrivains dignes de foi a beaucoup intrigué les savants de notre siècle, qui veulent toujours savoir le pourquoi de toutes choses et découvrir «la petite bête».
D’après Kircher, un chercheur de solutions, cette singulière particularité ne peut être attribuée qu’à quelque supercherie, telle qu’un ressort secret ou une espèce de clavecin renfermé dans la statue, et dont les cordes, relâchées par l’humidité de la nuit, se tendaient à la chaleur du soleil et se rompaient avec éclat comme une corde de violon.
De nouvelles études, faites sur les lieux mêmes, paraissent démontrer que les sons n’étaient qu’un effet physique et naturel, la statue étant faite d’une espèce de pierre dure, cassante et très dilatable. Le changement subit de température, causé par les rayons du soleil succédant au froid de la nuit, produisait des vibrations sonores d’autant plus fortes que la statue était fendillée en une foule d’endroits.
J’ai cité l’opinion des savants, mais je vous avoue que c’est presque à contre-cœur, car les anciens, dont les connaissances scientifiques étaient assez limitées, se tiraient d’affaire d’une manière beaucoup plus poétique.
Memnon étant le fils de Tithon et de l’Aurore, et les Grecs disaient que «lorsque les rayons du soleil venaient frapper la statue élevée dans les environs de Théber, elle faisait entendre ces sons harmonieux comme si Memnon avait voulu saluer l’apparition de sa mère».
La légende était charmante et ne faisait de mal à personne, mais il arriva qu’un jour, un roi — ces rois ! — un nommé Cambyse, dont vous avez peut-être entendu parler, voulant découvrir la petite bête, fit briser la statue; «mais, dit Strabon, les parties renversées firent encore entendre les mêmes sons».
Et maintenant, que dire des bruits que fait entendre miss Liberty ?
Si j’étais poète, je ferais peut-être comme les anciens à propos de la statue de Memnon, je vous dirais que la Liberté proteste ainsi contre les prétentions des Américains de régenter toutes les nations ayant des possessions dans le Nouveau-Monde. Je soutiendrais que miss Liberty n’est pas contente de la manière dont les protestants du Manitoba traitent la minorité catholique. Je dirais… que ne dirais-je pas ? mais à quoi bon, puisqu’un physicien va me ramener à terre, en me prouvant que tout cela n’est qu’un effet de dilatation ou de contraction de la robe de bronze de la demoiselle.
La poésie y perd et les savants n’y gagnent rien.
Illustration de la statue de la Liberté de Benjamin Dumas sur Flickr.
Sur la carte postale ci-bas, voici, à gauche, le temple funéraire de Ramsès II, le Rasmesséum et, à droite, le Colosse de Memnon, brisé par Cambyse qui espérait connaître la cause de sons harmonieux qu’il émettait.