Skip to content

Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien

Parmi mes nombreux livres de sagesse, l’un d’eux, en trois minces volumes, a pour titre Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, du philosophe Vladimir Jankélévitch (1903-1985), publié aux Éditions du Seuil en 1980.

Il serait difficile de bien résumer cet ouvrage exigeant. La phrase apparaissant sur la page Wikipédia à son nom me semble assez juste : Qu’il parle de la mort, de la liberté, de l’intention, de l’intuition, de l’acte, et finalement de l’amour, il tente d’encercler l’instant au plus près et des deux côtés (avant, dans le « pas encore », et après, dans le « jamais plus », qui ne sont pas symétriques).

Comme pour beaucoup, sinon la plupart des livres de sagesse, le discours tourne ici autour de l’instant. Voyez comment se termine le premier volume :

« Il n’est rien de si précieux que le temps puisque avec un seul moment on peut acheter le jouissance d’une glorieuse éternité », dit dans son langage de pieuse mercenarité le P. Nicolas du Sault (Adresse pour chercher Dieu par les voies naturelles et surnaturelles, 1651). Il n’est rien de si précieux que ce temps de notre vie, cette matinée infinitésimale, cette fine pointe imperceptible dans le firmament de l’éternité, ce minuscule printemps qui ne sera qu’une fois, et puis jamais plus. « Le coq chante et le jour brille. Lève-toi, mon aimé, c’est l’heure. » C’est l’heure : Hora ! Tout à l’heure, il sera trop tard, car cette heure-là ne dure qu’un instant. Le vent se lève, c’est maintenant ou jamais. Ne perdez pas votre chance unique dans toute l’éternité, ne manquez pas votre unique matinée de printemps.

Voici quelques-uns des passages que j’avais soulignés.

Il arrive que l’occurrence dure infiniment moins qu’une saison ou même une matinée : il arrive que l’occurrence tienne dans un battement de paupières. Quelle précision inouïe et presque miraculeuse il faut alors pour ajouter le clin d’œil au clignotement !

L’intervalle n’est pas seulement une durée à durer, mais une aventure à courir ; l’intervalle est un fourmillement d’instants, et, en outre, il est la carrière de l’occasion. Une carrière qui n’est en rien curriculum administratif ni cursus réglé à l’avance.

L’occurrence tient au moment du temps où un certain présent se présente, où nous rencontrons l’occurrence sur notre route. Mais, pour qu’il y ait rencontre, il faut être deux : il faut qu’à une certaine date, heure ou minute du devenir, advienne l’occurrence elle-même ; et il faut qu’en simultanéité avec l’apparition de cet événement se produise telle ou telle intervention humaine.

Le charme est le je-ne-sais-quoi activé. C’est pourquoi Plotin dit que la beauté n’est pas inhérente à la symétrie en elle-même, qu’elle ne consiste pas dans une proportion déterminée des parties, mais qu’elle est quelque chose d’autre, une espèce de lustre qui rayonne de la symétrie, et qui la rend digne d’amour ; sans une circulation de grâce à la surface de la beauté, le beau et le laid sont absolument indiscernables et tous les malentendus deviennent possibles.

Le charme tient à une sorte de totalisation infinie, et c’est en ce sens qu’il est littéralement fait de rien, qu’il tient à un rien ! De là la suprême fragilité d’un presque-rien que le moindre souffle suffit à détruire.

Je ne dis pas qu’il n’y a rien. Il y a quelque chose, et c’est mon savoir seul qui est en défaut.

L’indicible surtout est une invitation à dire et redire sans cesse, un appel renouvelé à la communication. D’un mot : tout est à dire et surtout ce qui a été dit !

 

Voilà pourquoi je n’arrive pas à me défaire de ma bibliothèque de livres de sagesse. Je n’y reviens pas fréquemment, mais je les sais là. Ce sont des amis. Et on ne balance pas ses amis.

6 commentaires Publier un commentaire
  1. Au cas où vous seriez curieux de continuer sur ce thème en photos, voici quelques travaux : http://www.regardeoutumarches.net/dotclear/index.php?post/2014/04/19/Interpellants

    1 mai 2014
  2. Jean Provencher #

    Merci à vous, cher curcuma. J’aime beaucoup votre «Regarde où tu marches». À voir. Déstabilisant. Merci encore.

    1 mai 2014
  3. curcuma #

    Merci à vous !

    1 mai 2014
  4. Jean Provencher #

    J’espère que de mes visiteurs seront assez curieux pour aller prendre connaissances des travaux que vous menez.

    1 mai 2014

Trackbacks & Pingbacks

  1. Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien | Les Quatre Saisons
  2. Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-Rien | Les Quatre Saisons

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS