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Avez-vous déjà imaginé que des milliers d’êtres et des milliers d’événements nous composent ?

Un jour, j’ai vu un film qui débutait de manière étonnante. Nous sommes dans une aérogare. Descendus d’un avion, un homme et une femme attendent leur valise qui doit leur être livrée sur le tapis roulant. Ils se sourient soudain. Et voilà le départ d’une histoire amoureuse.

Or, immédiatement, le cinéaste nous reporte à 120 ans auparavant. Nous assistons à la rencontre des grands-parents de l’une et l’autre des personnes qui viennent de se sourire. Les grands-parents n’habitent pas le même pays, ne vivent pas de la même manière, sont d’une autre culture. On ne peut imaginer qu’un jour, cela mènera à la rencontre de ce couple à l’aérogare. Et pourtant.

Revenons à ma question. Nous sommes le produit d’un grand nombre de personnes qui nous ont précédés. Il aurait suffi que, dans une longue lignée, une ou un de ces quidams soient absent.e.s que nous ne serions pas là.

De manière immédiate, dans notre vie propre, nous sommes des bribes d’histoires. Nous n’avons pas choisi notre famille, nos parents, les enfants qu’ils ont eus, et le rang que nous occupons dans cette fratrie. Non plus que notre sexe.

Et puis viendront des faits. La plupart banals, mais certains importants. Un mot. Un simple regard qui éveille. Un sourire. Une rencontre, parfois même imprévue. Un toucher. Une douceur. Un livre. Un poème. Un chant. Ajoutez-y les mots de votre choix.

Tout au cours d’une vie, il y a une longue ligne qui jamais ne se brise, une succession de petits miracles naturels. Arrêtez-vous seulement un instant dans votre vie à quelques passages bien banals souvent, mais soudain lumineux, qui vous portent plus loin.

Cette réflexion est davantage orientale qu’occidentale. En Occident, il est bien rare que nous réfléchissions de cette manière. Nous vivons sans trop nous arrêter à l’histoire de notre vécu. Avez-vous déjà imaginé que chacune des relations amoureuses que vous avez vécues à ce jour vous a enrichi.e ? Que votre présent amour vient du bout d’un monde, alors que vous venez d’un autre bout d’un monde ?

J’en suis là pour avoir réouvert à nouveau un de mes livres de sagesse bien important : celui de Satprem, Par le corps de la terre ou Le Sannyasin, histoire perpétuelle, Paris, Robert Lafont, 1973. Selon Satprem, recourir au mot « hasard » signifie que l’on ne connaît pas la loi des choses.

Extraits.

Le plus petit de ces hasards brille comme une étoile dans la grande forêt du monde ; et parfois, il me semble qu’un geste fortuit, une petite seconde d’inattention, un sautillement à droite plutôt qu’à gauche, une plume d’oiseau, un rien qui souffle, contient un monde de préméditation vertigineux — et peut-être… Peut-être ne voyons-nous pas tout ce qui relie ces moments, l’invisible fil qui s’enfonce à travers les siècles et rattache cette seconde éblouie, cette soudaine croisée des chemins, cette graine qui vole, à une autre histoire inachevée, une ancienne promesse non tenue, un colline oubliée, une fontaine d’autrefois où deux êtres s’étaient souri en passant. […]

Nous ne tenons pas tous les fils ! Nous tenons des petits bouts de secondes de rien, qui passent, inaperçues, des bribes d’histoire comme une petite fenêtre soudaine au milieu d’une grande légende qui s’enfonce par des Scandinavies intimes, des îles perdues, et qui continuera encore quand tous nos hivers seront comptés. Quelquefois, je crois qu’il y a plus de mystère dans un rien qu’on heurte par hasard que dans toutes les infinitudes du ciel, et que la clef du monde n’est pas l’infiniment grand, mais dans un minuscule clin d’œil surpris au piège… […]

 Nos pensées et nos mots sont de lourds déguisements, nous n’y comprenons rien, nous vêtons de bruit un tout petit son direct qui va au cœur des choses, et qui traverse tous les âges et tous les lieux en une seconde — chaque son du cœur va à son but, et nous crions dehors comme des sourds. […]

Satprem, Par le corps de la terre ou Le Sannyasin, histoire perpétuelle, Paris, Robert Lafont, 1973, p. 186s.

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