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Comment vous dire

Vous arrive-t-il d’avoir envie de cheminer ? De souhaiter une autre lecture du monde ? D’imaginer qu’il y a une toute autre vie dans l’enveloppe que nous habitons déjà ? Peut-être un brin insatisfait ? Si oui, un ouvrage peut vous être un encouragement. Le chercheur français , Satprem, a mené une réflexion à ce sujet.

Un jour, j’ai trouvé rue Saint-Denis, à Montréal, dans une petite librairie de demi-sous-sol, pour 2, 15$, le livre de Satprem, La genèse du surhomme. Tout un titre, vous direz, je vous le concède. Mais un ouvrage très simple pour qui est disponible. À la recherche de chaque instant, qui est unique.

Comme le dit Satprem, il faut être disponible, il faut être attentif, à travers les bruits quotidiens. Et, un jour, il se passe quelque chose.

Un jour, voilà le questionnement, l’étonnement.

le soir, seul dans sa chambre […] il voit ces petites secondes qui brillent inexplicablement, qui rayonnent même comme si elles avaient débordé autour d’elles, accroché leur goutte de lumière à tout ce qu’elles avaient touché autour ; et cet homme en brun, cette absurde affiche, ce coup de soleil sur un banc, sont comme saisis d’une vie particulière, arrêtés, photographiés dans le moindre détail — ils sont là, ils sont. Tout le reste est comme de la poussière, engouffré dans un Tartare d’inexistence. Et pourtant, il n’y a pas de pensée là-dedans, pas de sentiment, pas de souvenir, pas même de moi, surtout pas de moi, c’était la seule seconde où il avait décroché de tout ça, trébuché dans un non-moi un peu vertigineux.

Puis ce vain marcheur fait une autre découverte. Il s’aperçoit que ces petites gouttes de lumière éparpillées (est-ce une lumière ? c’est plutôt comme un éclatement subit dans autre chose, une vibration si rapide qu’elle échappe à nos perceptions habituelles et à nos traductions colorées : ça vibre, c’est quelque chose qui vibre, comme une note d’une autre musique pour laquelle nous n’avons pas encore d’oreille, comme le trait de couleur d’un autre pays pour lequel nous n’avons pas encore d’yeux), ces points d’une autre intensité, ces petits repères d’une géographie aveugle, sont comme indestructibles. Ils vivent, ils continuent de vivre longtemps après qu’ils se sont passés, comme s’ils ne se passaient pas. Et, en effet, ils ne passent pas, c’est même la seule chose qui ne passe pas.

On dirait que cette petite déchirure, là, devant cette affiche ou ce banc, cette béance subite devant rien, conserve son intensité, que cette goutte d’autre chose, ce petit cri tout d’un coup, pour rien, continue d’être, qu’il s’est déposé dans une crique secrète de notre être et qu’il vibre, vibre, et qu’une goutte s’ajoute à une autre sans jamais se décomposer, jamais se perdre, et que ça s’accumule, s’accumule, comme si nous avions là une réserve infaillible, un havre qui s’emplit, un accumulateur qui peu à peu se charge d’une autre intensité de force, et qui est comme un commencement d’être.

Et nous commençons à entrer sur la voie ensoleillée.

Nous ne sommes plus tout à fait dans la mécanique, bien qu’elle nous happe parfois encore, mais seulement pour nous faire sentir une écrasante tension, son obscur roulement dans rien qui engrène rien qui engrène rien — nous avons senti un autre air, même s’il n’a l’air de rien, nous ne pouvons plus supporter son inexistence qui se meut d’un point à un autre, d’un téléphone à un autre, d’un rendez-vous à un autre, qui monte, descend l’éternelle mécanique et rien n’arrive jamais, sauf la même sempiternelle histoire avec d’autres visages et d’autres noms et d’autres paroles, sur ce boulevard ou un autre — il faut que ça existe !

Il faut qu’entre ce réverbère et l’autre, ce palier du troisième et celui du quatrième, ce neuf heures et ce neuf heures trente d’une pendule qui ne marque rien, quelque chose soit, quelque chose vive, que ce pas ait son sens éternel comme s’il était un unique pas parmi les millions d’heures du cadran, que ce geste soit porté par quelqu’un, ce kiosque qu’on croise, cet accroc du tapis, ce bouton de sonnette qu’on tire, cette seconde — cette seconde — ait sa totalité de vie unique et irremplaçable comme si elle était seule à luire pour l’éternité des temps, oh ! pas ce rien qui marche dans rien : que ça existe, que ça existe, que ça existe ! … »

 

Satprem, La genèse du surhomme. Essai d’évolution expérimentale, Pondichéry (Inde), Édition Sri Aurobindo Ashram, 1971, p. 39-41.

Chaque livre de sagesse apporte sa compréhension du monde avec sa couleur propre. J’en ai de nombreux, une pleine bibliothèque. Cela dit, les ouvrages de Satprem furent pour moi majeurs. Ils sont à l’origine, par exemple, du message glissé dans plus de 400 bouteilles lancées à la mer par mon fils et moi durant les années 1970.

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