Parlons du Bleu, l’histoire de cette couleur
De l’historien français Michel Pastoureau, je m’apprête à attaquer son livre sur cette couleur qui vient de reparaître en poche.
Il nous dit que, depuis le 18e siècle, c’est la couleur préférée d’un grand nombre. « Et lorsque dans les années 1890-1900 de véritables sondages d’opinion sont effectués, les chiffres montrent que l’écart entre le bleu et les autres couleurs est considérable. Il l’est resté jusqu’à aujourd’hui. »
L’idée me vient d’aller fouiller dans ma grande banque de plus d’un millier de pages de citations de la presse québécoise de 1880 à 1910 amassées depuis des lunes pour repérer les moments où le « bleu » est mentionné. Voyons voir. Commençons par la plus ancienne en 1881. J’ai mis en gras le mot bleu.
Québec. « Samedi après-midi [la veille de Pâques], en passant dans la rue St. Joseph, nous aperçûmes tout à coup à l’encoignure des rues Grant et St. Joseph une grande foule de spectateurs réunis devant le magasin d’épiceries de M. W. Pelletier. Comme le journaliste est né curieux, nous nous réunîmes au groupe pour constater ce qui flattait tant la curiosité. Le montre de ce magasin renfermait, il est vrai, tout ce qu’il faut pour satisfaire les acheteurs, mais il y avait plus qu’ailleurs. Sur les jambons entassés dans la fenêtre s’élevaient une multitude de petits oiseaux vraiment attrayants. C’était des oiseaux importés de l’Amérique du Sud, du Japon, de l’Afrique et de quelques autres pays. L’espèce en est très rare, et la couleur des plus variées. Il y en avait des rouges, des verts, des jaunes, des bleus; de toutes les couleurs enfin. C’était beau à voir. » Le Canadien, 18 avril 1881
Saint-Léon de Standon. « Un chasseur de Saint Léon de Standon comté de Dorchester, M. Napoléon Tremblay, a abattu ces jours derniers un canard énorme, d’une espèce tout à fait extraordinaire. Il a 21 pouces de hauteur, 32 pouces de longueur, de la tête à la queue, qui est très courte. Le cou a une longueur de 11 pouces, le bec 5 ½ pouces. Les ailes ont 5 pieds et 3 pouces d’envergure. Mais ce qui attire surtout les regards sont ses brillantes couleurs : dos et poitrine d’un plumage vert foncé, luisant ; le dessus des ailes, d’un vert luisant plus prononcé, est tacheté de bleu clair, le dedans des ailes jaunâtres, queue de même couleur que les ailes ; enfin le cou et la tête ressemblent tout à fait à ceux du paon. L’ensemble de ses couleurs offre une curiosité vraiment digne de remarque, et nombre d’amateurs ont examiné cet oiseau étranger à ces parages. M. Tremblay se propose, paraît-il, de l’offrir à quelque musée. Voilà un canard comme la presse n’en ai jamais connu. » La Gazette de Joliette, 9 novembre 1883
Saint-Jacques de Montcalm. « Un phénomène étrange, dit L’Observateur, de Joliette, se produit depuis quelque temps dans la paroisse de Saint-Jacques. Un feu d’une nature inconnue et d’une forme irrégulière et bizarre, s’attaque aux arbres qui ornent une propriété privée et plus spécialement aux érables et aux plaines. Quelques personnes, témoins de ce prodige extraordinaire, se rendirent aux différents endroits et cherchèrent à en éteindre les flammes en lançant de grande quantité d’eau sur ce feu ; mais au lieu de produire son effet ordinaire, l’eau semblait alimenter ce feu que je me permettrai d’appeler surnaturel et lui faisait faire des zig-zags aux couleurs bleues, rouges et vertes qui étonnèrent les spectateurs. L’opinion des savants est qu’il existe des terres volcaniques en ces endroits, et que l’on peut s’attendre un jour à l’autre à l’éruption d’un volcan. Les anciens de l’endroit prétendent, au contraire, qu’il y a déjà quelques années qu’un père, indigné de la conduite de son fils, aurait maudit ce dernier qui serait dans la suite parti pour voyage. Au cours de ses aventures, le fils serait mort sur mer, et aujourd’hui il demande des prières. » Le Sorelois, 21 décembre 1883
Paris. « Le cachemire antique est très recherché comme vêtement pour les jours froids de l’été. Les robes en foulard sont garnies de dentelles noires. Les costumes écarlates et bleu clair pointillés sont aussi très portés. Le large col en dentelle ou brodé est [de] nouveau très à la mode. Les robes en tuile [sic] noir et point d’esprit, avec ruban de satin formant de gracieuses draperies, prendront la place des robes en dentelle qui sont en vogue depuis si longtemps. Les manches sont bouffantes et étroites à l’avant-bras. Les couleurs favorites sont le lilas délicat, le rose et surtout le blanc crème. La mousseline blanche et la gaze ont repris leur ancien prestige. Ce que l’on recherche principalement dans une jolie toilette est la simplicité à tout prix. » Le Canadien, 22 juin 1887
« Les savants qui s’occupent d’ornithologie connaissent bien le gentil oiseau bleu (blue bird), que le grand dictionnaire américain de Worcester définit ainsi : « Un petit oiseau au bleu plumage et au joli chant, qui est en Amérique l’avant-coureur du printemps ». »Le Franco-Canadien, 25 novembre 1887
À Québec. Le club de raquette Le Montagnais est fondé en février 1885 par Thomas Potvin, qui fut son premier président. « Il débuta avec un actif de 87 membres et adopta dès lors le joli costume qu’il porte encore : tunique, bas et tuque bleu électrique, avec nervures et rayés de rouge cramoisi. L’un de ses membres, M. J. E. Mercier, gagna la médaille offerte par la Législature pour la grande course à la raquette de 11 milles en 1887. » Le Quotidien (Lévis), 23 février 1895
Saint-Jean-sur-Richelieu. « Soleil magnifique et température idéale depuis deux jours. De toutes parts, les croisées s’ouvrent pour saluer le doux printemps et sourire au ciel bleu. » Le Canada français, 19 avril 1895
À Montréal. « L’un des numéros les plus amusants du cirque combiné d’Adam Forepaugh Sells Frères, qui doit venir à Montréal lundi et mardi prochain, est la fanfare de clowns. C’est une imitation si comique du célèbre chef de fanfare John Philip Sousa et de ses remarquables manières qu’elle ne manque jamais de faire rire l’auditoire aux larmes. Et personne ne jouit de cette farce plus que M. Sousa lui-même. Il a assisté à une représentation pendant son engagement au Madison Square Garden, de New-York, et il a ri de grand cœur des farces des joyeux fils de Mamus. L’homme qui a imité le grand chef de fanfare est un cornettiste de premier ordre, surtout sur les triples coups de langue, et M. Sousa l’a félicité de son habileté. Quand la fanfare de clowns fait son entrée, on reconnaît immédiatement Sousa. La fanfare joue d’abord l’une des marches les plus célèbres de M. Sousa, mais avec une telle série de stridents désaccords qu’elle provoque des éclats de rire. Le clown qui imite Sousa est parfait quant aux favoris, à la barbe, au costume, etc. Il porte une casquette, un paletot militaire bleu et un pantalon de coutil blanc, précisément comme M. Sousa. Il marche cependant d’une façon exagérée et ses manières, quand il joue des solos, sont extrêmement ridicules. Au premier son criard qu’il tire de son cornet, la fanfare prend toutes sortes d’attitudes grotesques, après avoir formé cercle sur la scène. Au second coup de cornet, plus perçant que le premier, la fanfare tombe à terre, mais elle se relève à l’instant et le suit dans l’exécution fantaisiste d’une marche très accélérée. Alors, un des artistes se grime en tramp, marche comme un tragédien d’opéra comique sur le devant de la scène et joue « Say au revoir, but not Farewell », dans un trombone à la Arthur Pryor. À la dernière note, il titube et tombe sur la scène, sur un sac placé pour le recevoir. Immédiatement après, la fanfare s’assemble de nouveau et joue vigoureusement, mais d’une manière aussi discordante qu’avant. L’effet est excessivement amusant, la chose étant faite en apparence avec un grand sérieux. M. Sousa s’est beaucoup amusé de cette plaisanterie de bon alois, l’imitation était si bien faite et si amusante qu’il ne put s’empêcher de louer les clowns en disant : C’est très bien. Ils connaissent leur affaire. » La Patrie, 15 juin 1899
À Victoriaville, à la Maison Blanche : « Pommes, 5c. la lb $1.50 le minot, extra. Poires au panier de 5 doz. 50c. Raisin bleu Champion, 35c. le panier, No 25c. Delaware 35c. Raison rouge, Malaga gros, 35c. Raisin de table, 20 la lb, Bananes 20 et 25 cts la doz. $2.00 la branche, extra No. 2 $1.50. Huîtres Portland au gallon $1.60. Depuis le 1er septembre, au 20 septembre, nous fournirons au public les huîtres en écailles des marques suivantes. » L’Écho des Bois-Francs (Arthabaska), 2 septembre 1899
À Ham-Nord. « On assure avoir vu Diane, la chasseresse, errant dans nos forêts à la poursuite d’un papillon, par nous, inconnu ; il aurait des ailes d’azur, des yeux du ciel, et ne parlerait — avec les nymphes — que le langage des anges. Le carquois de la Vierge ressemble aux eaux bleues de la mer et sa flèche, en l’atteignant, lui sera aussi voluptueux que le murmure de la brise dans la forêt endormie. Il est visible surtout dans les nuits étoilées, quand tout dort et que les bois jettent au loin un parfum d’iris et d’ambroisie. Ce n’est qu’au sein des blés mûrissants qu’il goûte un véritable repos — et on assure l’avoir vu là, griser son âme de toute la beauté de cette nature mourante. On soutient même que ce n’est que lorsque son ciel sera moins serein qu’il sera réellement capturé par la déesse. » L’Écho des Bois-Francs, 22 septembre 1900.
« Depuis hier est ouverte la saison de la chasse. […] Voici le temps où la chasse de tel ou tel gibier est permise. Caribou — Du 1er septembre au 1er février. Chevreuil et orignal — Du 1er septembre au 1er janvier. Pour les comtés d’Ottawa et Pontiac, du 1er octobre au 1er décembre. Vison, loutre, martre, pékan, le renard et le loup-cervier — Du 1er novembre au 1er avril. Lièvre — Du 1er novembre au 1er février. Ours — Du 20 août au 1er juillet. Rat musqué — Du 1er avril au 1er mai. Bécasse, bécassine, les pluviers, courlis, les chevaliers et les maubèches — Du 1er septembre au 1er février. Perdrix grises et de savane — Défense de vendre et d’exposer en vente aucune perdrix grise ou de savane, avant le premier jour d’octobre 1903. La Perdrix blanche ou le ptarmigan — Du 1er novembre au 1er février. Macreuses, sarcelles, canard sauvage de toute espèce — Du 15 septembre au 1er mars (excepté : Harles ou becs-scies, huards, goélands). Dans la partie de la province située à l’est et au nord des comtés de Montmorency et de Bellechasse, les habitants peuvent chasse en toute saison de l’année, sauf entre le 1er juin et le 1er août, mais pour leur nourriture seulement, les oiseaux mentionnés dans le paragraphe précédent. Il est permis de prendre au filet, du 1er septembre au 1er mars, mais il est défendu de tuer en n’importe quel temps les oiseaux percheurs, tels que : les hirondelles, les tritris, les fauvettes, les moucherolles, les pies, les engoulevents, les pinsons (rossignols, oiseaux rouges, oiseaux bleus, etc.. ), les mésanges, les chardonnerets, les grives (merles, flûtes des bois, etc.,), les roitelets, les goglus, les mainates, les gros-becs, l’oiseau-mouche, les coucous, etc., excepté les aigles, les faucons, les éperviers, et autres oiseaux de la famille des falconidés, les hiboux, le pigeon-voyageur (tourte), le martin-pêcheur, le corbeau, la corneille, les jaseurs, (récollets), les pies-grièches, les geais, les pies, les moineaux, les étourneaux. Il est permis de chasser, tuer ou prendre le chevreuil en se servant de chiens, du 20 octobre au 1er novembre. Nul ne peut chasser, tuer ou prendre vivants durant une saison de chasse plus d’un orignal, deux chevreuils et deux caribous. La chasse au castor est prohibée jusqu’au 1er novembre 1905. Il est défendu de chasser, prendre ou tuer, en tout temps, les faons, jusqu’à l’âge d’un an, des caribous et des chevreuils ; ainsi que la femelle de l’orignal, en tout temps. Il est défendu d’enlever les œufs ou nids d’oiseaux sauvages, en tout temps de l’année. » Le Soleil, 2 septembre 1903, p. 1
Carillon. « La navigation sera sous peu fermée ici. Les bateaux à passagers et de fret ont tous pris leurs quartiers d’hiver, les uns à Ottawa, les autres à Montréal. Les remorqueurs et les barges de la compagnie The O. T. Co., communément appelées les barges bleues, ont aussi pris leurs quartiers d’hiver à Ottawa. » La Patrie, 3 décembre 1906
Bastiscan. « La saison de la pêche à la petite morue va bientôt commencer ; déjà plusieurs cabanes sont installées sur la glace, et, d’ici au jour de l’an, nous en verrons une foule. Le rivage présentera alors un aspect tout à fait riant. Il est vraiment très agréable de voir toutes ces petites cabanes qui tous les soirs s’illuminent et projettent dans les airs la fumée bleue de leurs minuscules poêles. Comme il fait bon s’y installer, surtout lorsque le petit poisson veut bien être assez gentil pour venir mordre à l’appât trompeur. » Le Patrie, 27 décembre 1906
Saint-Denis de Richelieu. « Jeudi dernier, un pigeon-voyageur, venant d’un lieu inconnu s’est posé à la porte d’un citoyen de notre village, M. Hector Lussier. C’est un pigeon qui a le corps bleu et les ailes blanches. Il porte un anneau en argent à la patte gouache avec l’inscription suivante : W. H. P. 1901. Le propriétaire pourra réclamer ce pigeon en s’adressant à Eugène Bessette, hôtelier, Saint-Denis de Richelieu, Québec, » Patrie, 12 avril 1907
Montréal. Dépouillant la presse, il y a soudain de ces dates franchement marquantes, significatives. Ainsi, après plusieurs siècles de navigation à voiles, voici qu’on l’abandonne définitivement. « Le dernier rapport de la commission du havre constate une diminution générale du trafic dans le port de Montréal. Durant la saison dernière de navigation, il est venu 78 navires de moins qu’en 1906. On n’a pas eu raison cependant de s’alarmer de cette baisse de tonnage, puisque les revenus de la commission ont accusé quand même une augmentation. C’est l‘ouverture tardive de la navigation qu’il faudrait, paraît-il, rendre responsable de cet état de choses. Durant toute la saison dernière, pas un seul navire océanique à voiles n’est entré dans notre port. Depuis plusieurs années, ils se faisaient de plus en plus rares, mais c’est la première année où ils aient totalement manqué d’apparaître. Ce qui devait fatalement venir est arrivé, et tout indique que les navires à vapeur ont finalement supplanté les voiliers sur l’océan. De ces derniers, il, en reste sans doute encore, en dehors du port de Montréal, mais leurs jours sont comptés. Un grand nombre sans doute ne pourront s’empêcher de le regretter. Qu’y avait-il de plus pittoresque et de plus gracieux que ces navires ailés, voguant sur les flots comme de grands oiseaux, et découpant leurs blanches voiles sur l’horizon bleu des mers ? Les immenses paquebots et les grands steamers d’aujourd’hui sont plus rapides, et ils résistent mieux aux ouragans, mais, au point de vue de la grâce et de l’élégance, comme ils remplacent mal les voiliers d’autrefois. S’il faut sagement se résigner aux exigences du progrès et aux laideurs qui en découlent, que l’on nous permette au moins d’accorder un soupir de regret à la beauté et au pittoresque qui s’en vont. » La Patrie, 9 janvier 1908
Au Québec, samedi le 1er février, grande tempête. Fort longue description de ses méfaits à Québec. En voici quelques extraits. Dans certaines rues du faubourg Saint-Roch, par exemple, « les bancs de neige étaient si nombreux et si considérables que plusieurs personnes ont dû sortir par les fenêtres du second étage pour pouvoir ensuite déblayer leurs trottoirs ». « Cette tempête, au dire des plus anciens, est l’une des plus fortes que nous ayons eue depuis de longues années. » « Samedi après-midi et samedi soir, ce n’était guère prudent pour les dames de s’aventurer sur la rue Buade. La neige tombait abondamment, le vent soufflait avec une rapidité renversante, et les balayeuses pour le service des chars urbains bloquaient. Les passants devenaient de plus en plus rares, contrairement à l’habitude, le samedi après-midi, et bien des galants ont dû faire leur deuil ; la tempête a rompu bien des engagements, car une tempête à Québec, ça l’effet d’une séquestration ; on se caserne. Cependant, il y en a qui aiment le danger, et combien de gentilles et hardies québécoises ont bravé la fureur de l’aquilon pour faire plaisir à Cupidon de donner l’occasion à leurs grands et forts amis d’accomplir un acte d’héroïsme en sauvant une québécoise, belle mais inconnue, captive dans un banc de neige, mystérieuse frimousse sous sa voilette. Le sauvetage s’accomplit. Discrètement, on soulève la voilette, les yeux sont provoquants et les lèvres d’un si frais carmin… savent remercier ! » « Samedi soir, il y avait de la neige à pleine rue, et bien des amateurs ont fait leur promenade en raquettes sur la rue St-Jean, le seul moyen de locomotion au-dessous du fil conducteur des tramways. » Dans le faubourg Saint-Jean, « la tempête qui nous a visités samedi a rappelé celle d’il y a une trentaine d’années, alors que ces bourrasques étaient de beaucoup plus fréquentes que de nos jours. Qui ne se rappelle le temps où, vers la mi-hiver, les passants sur nos petites rues pouvaient voir dans les mansardes des maisons à deux étages qui n’étaient pas rares alors et que le printemps les citoyens se réunissaient en « corvée » pour « couper » la rue, n’en prenant qu’un côté à la fois, afin de ne pas nuire à la circulation des voitures. La tempête de samedi a été la plus forte depuis longtemps, et hier matin il fallait voir les citoyens à l’œuvre — quelques-uns bien gauchement — pour déblayer les portes de leurs résidences et tracer un petit chemin dans d’immenses bancs de neige dont la cime nous rappelait les anciens « pains » de sucre blanc que les épiciers vendaient enveloppés dans un cône en papier bleu. » Et puis, dans ce long article, on raconte le drame, à Beauport, d’un père accompagné de son fils, tous deux perdus dans la tempête. Et le père meurt épuisé, dans un grand désert blanc. Voilà un texte qui pourrait faire l’objet d’un encadré. Le Soleil, 3 février 1908, pp. 1, 8
À Québec. « Avec le retour des citadins de la campagne, la réouverture de théâtres et l’approche de l’hiver, Québec va reprendre son activité et sa traditionnelle gaieté. […] Voici la saison des huîtres qui revient. Rien que cette évocation fait claquer, nous en sommes sûrs, des milliers de langues contre les palais délicats. Le restaurant du Cordon Bleu, gouverné par Mme Lelarge, rue St-Joseph, tiendra, comme par le passé, les meilleures huîtres qu’il y ait sur le marché ; et, en plus, on va y reprendre les pâtés de foie gras, la galantine, enfin toute cette charcuterie qui, l’hiver dernier, rendit le Cordon Bleu célèbre à juste titre. » Le Soleil, 1er septembre 1909, p. 10
Au petit lac Magog. « Le Petit Lac Magog devient de plus en plus en faveur parmi les citadins qui veulent passer quelques semaines à la campagne. Le fait est qu’il est difficile de trouver un endroit offrant autant d’avantages à la fois pour se reposer et se récréer, sans qu’il n’en coûte guère plus cher qu’à rester chez soi. Nous avons ici alternativement la brise du large qui souffle quelquefois en tempête et fait moutonner les vagues, comme la miniature d’une colère de l’océan, et le zéphir léger jetant à profusion sur la rive les senteurs embaumées des prairies et des nénuphars blancs et or; nous avons des plages idéales tapissées d’un sable fin et soyeux descendant en pente douce vers l’eau profonde et où peuvent s’ébattre sans danger, comme une famille de jeunes canards, les enfants, même les tout petits; nous avons plusieurs milles d’une navigation agréable et sûre que sillonnent avec aisance le canot léger de toile imperméable aussi bien que le lourd bachot de pêche, l’esquif à l’aile blanche ainsi que le canot automobile qui jette ses poufs poufs rapides à tous les échos. Nous avons ces jolis chalets échelonnés tout le long de la rive, à demi cachés sous la feuillée et semblant autant de petits cartels où règnent des princes charmants et des fées séduisantes; nous avons la bruyère où nous pouvons cueillir à profusion les baies rouges et bleues, succulents fruits de nos étés canadiens; nous avons la grande forêt où nos oreilles peuvent entendre les concerts harmonieux du rossignol et de la fauvette et percevoir les mille bruissements qui sont le langage de la feuillée et au-dessus desquels plane le profond silence des grands bois; nous avons là, tout près, la ferme, sa métairie et sa basse-cour et qu’il fait bon d’y aller déguster, à l’ombre d’un chêne ou d’un orme, un bol de crème douce saupoudrée de sucre d’érable; nous avons avec la ville des facilités de communication nombreuses, pas moins de quatre trains pour l’aller et quatre trains pour le retour, l’on peut partir de Sherbrooke après le déjeuner et retourner pour le souper, comme font nombre de personnes qui n’ont que la journée à disposer; l’on peut partir dans l’après-midi ou le soir, venir passer la veillée et la nuit au lac et retourner à la ville à l’heure où s’ouvrent les magasins et les bureaux comme font la plupart des hommes d’affaires et de profession ayant leurs familles ici; nous avons un hôtel qui, sans avoir les proportions des grands hôtels de plages américaines, n’en est pas moins assez spacieux et confortable et où l’on peut avoir, outre le logis, des repas plantureux, des mets délicatement apprêtés et une table bien servie à des prix raisonnables. Cette année, surtout, tout le monde s’accorde à dire qu’il y a grande amélioration, que le menu est recherché et que le service est de premier ordre : un hôtel où la jeunesse bruyante se réunit pour faire de la musique, chanter, rire et sauter; nous avons aussi, « The last but not the least », une rustique petite chapelle entourée de grands arbres, sur les branches desquels les oiseaux viennent chanter les louanges du Très-Haut, où le Bon Dieu est aussi fier d’habiter que dans la plus riche cathédrale et où il fait bon de prier et d’épancher son âme au pied du tabernacle. Voilà ce qu’est le petit Lac Magog sans compter beaucoup d’autres attraits, tels que la pêche, les promenades en auto et en voiture, et, un peu plus tard, la chasse au chevreuil et autres gibiers de moindre importance. Charmant séjour de villégiature, endroit choisi de repos, de santé et de vigueur. » La Tribune, 3 août 1910, p. 4.
Référence à la première citation : Michel Pastoureau, Bleu, Histoire d’une couleur, Paris, Éditions du Seuil, 2000, p. 149s. Collection Points.