Retour à la poésie de l’Argentin Roberto Juarroz
On a dit de lui qu’il est l’une des voix les plus singulières et les plus importantes de la poésie sud-américaine au 20e siècle. Ses poèmes ne portaient pas de titres, il préférait plutôt les numéroter l’un à la suite de l’autre.
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Quand cesse une chose
peut-être qu’il ne reste rien,
hors ce reflet trompeur que nous nommons absence.
Mais quand plusieurs choses cessent ensemble
apparaît comme autre chose,
une mince bande de présence
ou du moins une faille d’anti-absence
à la limite de ce qui peut être nommé.
Si toutes choses s’unissaient pour en finir
peut-être que tout commencerait à neuf.
Ou simplement resterait tel.
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Un arbre enveloppe un nuage,
un oiseau enveloppe un arbre
et une plume de l’oiseau disperse l’air
pour faire place au signe maintenant là.
Ce qui enveloppe est enveloppé par ce qu’il enveloppe
mais le signe nouveau passe justement
entre l’enveloppé et ce qui enveloppe
et défait le paquet.
Le soir devient un dieu.
Un arbre descend alors d’un nuage,
le nuage descend d’un oiseau
et une plume de l’oiseau écrit le nouveau signe
sur le versant qui vient d’être dégagé.
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Le poème respire avec ses mains
qui ne prennent pas les choses : qui les respirent
comme des poumons de paroles,
comme une rauque chair verbale en proie au monde.
Sous ces mains
tout acquiert la forme
d’un noueux dieu vivant,
d’une rencontre de dieux déjà mûrs.
Les mains du poème
reconquièrent l’antique pouvoir
de toucher les choses avec les choses.
Roberto Juarroz, Poésie verticale, traduit de l’espagnol et présenté par Roger Munier, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1989. Collection Points.