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Nancy Huston sur Notre-Dame de Paris

L’écrivaine et essayiste franco-canadienne habite Ménilmontant en bordure du périphérique, à Paris bien sûr. Après l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, elle a proposé une lettre au quotidien Le Monde. Extraits.

[…] Elle ressemble à une vieille grand-mère que ses enfants et petits-enfants adorent mais négligent ; ils sont partis vivre au loin, ont oublié les vicissitudes de sa longue histoire et abandonné ses valeurs. Mais quand elle a une crise cardiaque, au moment où ils manquent de la perdre, ils se rendent compte à quel point elle leur tient à cœur. Se précipitant à son chevet, ils se regardent et se rendent compte : « Mais… mais… on est une famille extraordinaire ! »

Bien que non croyante et même assez hostile à l’égard des institutions religieuses, j’entre régulièrement dans des églises, mosquées et temples du monde entier. Je les valorise en tant que lieux « à part » destinés au sacré, au silence, à la célébration, à la méditation, à la prière, et à la musique…Tous, nous sommes des créatures de symbole et de récit. Tous, nous nous racontons des histoires au sujet des villes que nous habitons. Leurs monuments, que nous connaissons bien ou mal leur passé réel, se marient à nos souvenirs et s’intègrent à notre identité. Même le cœur et les yeux des athées chérissent la grâce des arcs-boutants, portails gothiques, statues de marbre, rosaces, escaliers en colimaçon… […]

Le surlendemain, je n’avais plus qu’une envie : m’éloigner de tout ce brouhaha, quitter les hauts de Ménilmontant pour aller rendre visite à la grande  malade. […] Mes pas dessinent un grand cercle autour de la cathédrale. Merveille : sur les branches des arbres qui la jouxtent, les fragiles fleurs roses ont survécu aux flammes infernales et se balancent tranquillement dans le petit vent d’avril…

Debout sur le pont des Tourelles, parmi la foule de caméras du monde entier et leurs journalistes survoltés, je me dis qu’il faudrait profiter de cet événement spectaculaire pour une fois sans victimes ni terrorisme ni malveillance, pour se poser doucement des questions de fond… Qu’est-ce qui est réellement précieux ? Que chérissons-nous ? Quelles sont nos valeurs ? […]

Dans sa préface au roman [Notre-Dame de Paris], [Victor] Hugo raconte que en « furetant » dans la cathédrale, il est tombé en arrêt devant un mot grec gravé dans un coin : « ananké », « la fatalité ». « L’homme qui a écrit ce mot sur ce mur s’est effacé, il y a plusieurs siècles, du milieu des générations, le mot s’est à son tour effacé du mur de l’église, l’église elle-même s’effacera bientôt peut-être de la terre. » Oui : le romancier avait prévu que Notre-Dame de Paris s’effacerait un jour, de même que son roman. La tragédie, c’est que sa pensée aussi, comme celle de Jésus, comme celle de tant d’autres hommes et femmes porteurs de sagesse et de générosité, est trop souvent effacée, dénaturée, dispersée. Si l’on saisissait cette occasion de rebâtir, aussi… l’impalpable ?

 

Nancy Huston, « Nous sommes des créatures de symbole et de récit », Le Monde (Paris), édition du dimanche 21, lundi 22, et mardi 23 avril 2019, p. 26.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Mariette Provencher #

    Merci de nous partager ces extraits de ce qu’a inspiré à Madame Huston la maladie de notre vieille grand-mère à tous. Je réalise que je n’ai rien lu d’elle et j’ai maintenant envie de me plonger dans son dernier roman.

    24 avril 2019
  2. Jean Provencher #

    Excellente écrivaine. Moi, je la connais surtout comme essayiste. Elle excelle dans les deux domaines.

    24 avril 2019

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