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Cherchez-vous un livre sur le silence ? (Second de deux billets)

Hier, nous annoncions l’excellent livre de l’anthropologue David Le Breton, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg et membre de l’institut de France. Près de 300 pages sur le silence. Suite de l’extrait que nous affichions.

Les entreprises de liquidation du silence foisonnent, elles ne sont pas délibérées mais elles ajoutent aux bruits de l’environnement urbain ou simplement technique ; elles investissent des lieux encore préservés, en friche, livré à la pure gratuité du silence. Elles sont efficaces dans leurs conséquences bruyantes ou leur volonté d’interposer en permanence une enveloppe sonore entre soi et le monde, dans l’établissement d’une rumeur continue qui distrait de soi et des soucis personnels.

La modernité traduit une tentative diffuse de l’espace et du temps par une émission sonore sans repos. Le silence étant une zone non défrichée, suspendue aux attentes, libre d’usage, il provoque une riposte de remplissage, d’animation, afin que soit enfin rompu ce défi de l’inutile qu’il recelait. Car pour une logique productive et marchande le silence ne sert à rien, il occupe un temps et un espace qui pourraient bénéficier d’une fin vouée à un meilleur rendement.

Pour la modernité, le silence est un résidu en attente d’un emploi plus fructueux, il est à l’image d’un terrain vague au cœur de la ville, une sorte de défi appelant à l’impératif de le rentabiliser, de lui faire rendre gorge d’une utilité quelconque puisqu’en attendant il n’est là qu’en pure perte. Anachronique, domaine où le bruit n’a pas encore pénétré, il est un archaïsme qui doit trouver son remède. « Le silence, écrit M. Picard, apparaît seulement comme un défaut de construction dans le déroulement continu du bruit » (M. Picard, Le monde du silence, Paris, PUF, 1953)

Il résonne comme une panne assourdissante du système. Le silence est un reste, ce que le bruit n’a pas encore pénétré ni altéré, ce que les moyens ou les conséquences de la technique épargnent encore.

 

David Le Breton, Du silence, Paris, Éditions Métailié, 2015, p. 184.

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