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Un bâtisseur de réseaux, le champignon

Comment donc parler d’une manière concise de cet être, ni animal et ni plante, d’une seule cellule ou de plusieurs, qui joue un rôle capital dans le monde de la vie sur terre depuis plus de 400 millions d’années ?

Ayant comme ancêtres les algues vertes, les Hépatiques, les premières plantes à gagner la terre ferme, se seraient assurées rapidement d’une collaboration symbiotique avec les champignons [Scheppach : 197]. Imaginons follement notre présence à ce moment, nous aurions constaté qu’il s’agit du début d’échanges de la plus haute importance pour le développement de la vie sur la terre et l’assurance qu’elle y demeure.

Nous avons mis une éternité à comprendre que les champignons sont une forme de vie avec ses caractères propres. Nous vivions avec trois catégories de créatures : les plantes, les animaux et les humains. Et autant de temps à nous en tenir aux apparences des champignons, ceux qui étaient soudain sortis du sol, souvent à l’automne, ou accompagnaient une plante défunte. Nos ancêtres, comme nous, n’avaient aucun moyen pour percevoir une autre forme de vie différente.

Mais ne ridiculisons pas les apparences. Chez moi, les champignons ont rendu la mort belle d’un de mes grands peupliers baumiers qui avait donné ce qu’il avait pu. Quelques mois plus tard, à ses pieds, s’est trouvée toute une société de petits champignons blancs à chapeau. On aurait dit une sorte d’hommage à ce grand arbre qui avait porté la vie. Parfois, je trouvais des alliances de champignons et de lichens. Une autre fois, le 29 août 2013, ce qui s’apparentait à un petit animal aux griffes bien apparentes, qui avait rendu l’âme. Les manifestations étaient multiples.

Mais tous les secrets étaient ailleurs, sous le tapis de la forêt. Nous sommes à découvrir en ce moment, depuis quelques années seulement, l’importance des mycorhizes, un « tout-racine » venu de l’association en symbiose des champignons filamenteux, des racines des plantes vertes, donc capables de photosynthèse, et des bactéries [Fortin et alia : 10]. Et ce tout-racine est une composante majeure de l’ensemble des organismes vivant dans le sol. Presque 90% des plantes forment une symbiose dite mycorhizienne avec des champignons [Hofrichter : 18].

Et entendons-nous, il ne s’agit pas d’une seule interaction entre deux individus, mais plutôt de tout un réseau. « On aurait tort de représenter la mycorhize comme une simple interaction à petite échelle entre deux individus dans un écosystème circonscrit et immuable. Il s’agit bien plutôt d’un lacis [d’un réseau de fils entrelacés] complexe, parfois immense, formé d’innombrables plantes et champignons, qui se maintient sur des générations, et est optimisé et réagencé en permanence » [Hofrichter : 27s.].

Et il y a échange très important entre les entités. Il serait fort difficile d’imaginer ce que serait la Terre sans cette collaboration, ce partage. « Les êtres filamenteux qui peuplent nos sous-sols exploitent un volume de terre bien plus important que ne le pourrait un arbre. Ceux-ci sont partageurs : ils cèdent aux plantes — qui ont besoin de sels minéraux dans le cadre de la photosynthèse — pratiquement toutes les substances nutritives qu’ils prélèvent dans le sol. Les plantes acceptent le « cadeau » avec avidité. Jamais leurs racines ne pourraient accéder aussi efficacement aux minéraux que les hyphes, avec leurs filaments d’une extrême finesse et leurs enzymes pratiquement omnipotentes. Mais la symbiose, ce n’est pas seulement prendre, c’est aussi donner. Les plantes « rétribuent » donc les champignons pour leur travail avec du sucre (généralement de glucose), qu’elles produisent en grandes quantités par photosynthèse. Jusqu’à 20% de ce que la plante produit peut être transféré au champignon : glucides, mais aussi vitamines et provitamines. » [Hofrichter : 36s.].

On croit que, sans cette façon de vivre apparue à l’âge du Dévonien (entre 416 et 359 millions d’années), les végétaux n’auraient jamais pu conquérir les milieux terrestres avec tant de succès, que les prairies de plantes herbacées dépourvues de feuilles n’auraient pas connu leur transformation soudaine en forêts [Tassin : 48s.].

 

Scheppach, Joseph, La conscience des plantes, 2018.

Fortin, J. André, Christian Plenchette et Yves Piché, Les Mycorhizes, L’essor de la nouvelle révolution verte, Montréal, Éditions MultiMondes, 2015.

Hofrichter, Robert, La vie secrète des champignons, Une incursion inédite dans un monde étonnant, Montréal, Éditions MultiMondes, 2019.

Tassin, Jacques, Penser comme un arbre, Paris, Éditions Odile Jacob, 2018.

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