Par journal interposé
Toujours sorti de mon parcours sur les années 1880-1910, je suis, comme travailleur autonome, à documenter la ville de Québec en 1919.
Un jeune « sténo-dactylo » de 24 ans, faisant partie du service civil, comme on le dit à l’époque, Francis Desroches, propose au quotidien Le Soleil un poème à une dame non autrement nommée que Madelon.
À Madelon…
Eh ! Madelon, que vas-tu faire
Au bois voisin ?
Vas-tu ramasser la fougère
D’un doigt calin,
Te pencher sur la violette
Qui garde encore
La goutte pure où se réflète
Un soleil, d’or ?
Ton cœur pourtant épris du monde
Veut-il chercher
Dans la solitude profonde,
Pour s’y cacher,
Un nid bien doux, tout à fait de mousse,
Coquet un peu,
Et qui bercerait sans secousse
Son oiseau bleu ?
Ton âme que je sais naïve
Veut-elle avoir,
Pour un moment moins sensitive,
Le nonchaloir
Du corps, des sens et des pensées,
Perdre le cours
Des heures brèves dépensées
Dans les amours ?…
Ou voudrais-tu, joyeuse et blonde,
Tous les matins,
Sous le vent frais qui vagabonde
Parmi les pins,
Chanter follement ta jeunesse
Au gai pinson
Qui coupe court, par politesse,
À sa chanson ?…
Ou bien vas-tu, reconnaissante,
Remercier Dieu
D’avoir fait la fleur si charmante,
Le ciel si bleu,
Mis en ton corps une âme fraîche
Comme un vallon,
Sur ta lèvre un velours de pêche,
Dis, Madelon ?…
Et Madelon de lui répondre le samedi suivant :
À « Francis »
Non ce n’est pas pour la fougère
Ni pour les fleurs
Ou pour broder une chimère
Aux fils trompeurs,
Que Madelon va dès l’aurore
Vers la forêt,
À l’heure où le soleil la dore
De son reflet…
Ce n’est point pour fuir un vain monde
Que si souvent
Vous la voyez auprès de l’onde
S’offrant au vent.
Et c’est plutôt par habitude
Que Madelon
Recherche tant la solitude
D’un frais vallon…
Elle-même ignore son âme,
En doutez-vous ?
Pourtant vous connaissez la femme,
Vilain, jaloux !…
Et direz-vous son cœur moins sage
Si tous les jours
Il revient à la même page
De ses amours ?
Mais c’est pour chanter sa jeunesse
Que sans arrêt
Madelon court en sauvagesse
Par la forêt…
C’est pour sentir l’amour de vivre
Plus fortement,
Que d’air et d’ombre elle s’enivre
Si longuement…
Et lorsque le rossignol chante
Sous le hallier,
Son âme alors reconnaissante
Aime à prier,
Et dans son cœur la souvenance
Du temps jadis
Fait naître un rêve de vaillance,
Voilà, Francis !…
Madelon
Le Soleil (Québec), 16 et 23 août 1919.