Moments heureux
Je suis distrait comme travailleur autonome par un mandat sur la ville de Québec cette année-là.
Autrefois, il y avait un peu partout sous les galeries et dans les porches des balançoires à cordes que l’on appelait « balancines ».
La partie de balançoire était surtout l’attrait des jours de pluie, car on se trouvait bien à l’abri sous la galerie ou dans le porche couvert.
S’il n’y a rien de plus long qu’un jour sans pain, qu’est-ce qu’il y a de plus ennuyant qu’un jour de pluie, surtout à un âge où l’on n’aspire qu’à voir tout en rose. Aussi prenait-on toutes les précautions voulues pour ne pas écraser les araignées à longues pattes [les opillons] ou au dos voûté, car la mort d’une araignée, suivant le dicton populaire, nous attirait inévitablement de la pluie.
C’est cette appréhension fâcheuse qui nous forçait à sauver la vie aux araignées, afin de ne pas subir les conséquences indésirables de leur mort.
Suivant la science, une araignée peut vivre sept à huit ans, mais, comme la mouche, elle subit pendant l’hiver une sorte de léthargie, qui disparaît avec les premières chaleurs de l’été. Donc, par les jours de pluie, on se balançait chacun son tour, suivant un nombre de coups déterminées en se livrant joyeusement à cette sensation que produit cette montée subséquente dans les airs, mais dont la descente coupe la respiration en affectant plus ou moins le cœur.
Les élans étaient donnés par un camarade qui nous poussait dans le dos tellement fort que les pieds nous frappaient le dessous de la galerie.
Ce balancement continuel nous portait à chanter, et tous ensemble nous faisions retentir les environs d’une variété de chansons qui s’enchaînaient de l’une à l’autre comme dans un pot-pourri.
Geo. Côté, « Scènes faubouriennes. Souvenirs d’enfance. Les balançoires », Le Soleil (Québec), 28 juin 1919.