Des animaux au théâtre
Il faut avouer, disait Molière, que les comédiens sont d’étranges animaux. On avouera aussi bien que les animaux sont d’excellents comédiens. Depuis quelques années, on a vu à la scène un troupeau de moutons, plusieurs singes et un assez grand nombre de chiens, sans parler du cheval de bois.
Mais, en ce moment, dans la seule pièce de « Robinson Crusoé », qui a tant de succès à Paris, on voit figurer un chien, un singe, une chèvre et un perroquet. La « Nature » donne à ces artistes une biographie pleine d’intérêt. Celle du perroquet a peu d’importance pour son jeu : car il est empaillé. Le rôle de la chèvre se borne à manger quelques légumes. On l’y habitue aisément.
Le singe apprit plus difficilement les convenances. Il fut rebelle à tout ce que le Conservatoire a de maîtres vénérés et continua de se gratter, encore qu’ils reprissent d’un geste si contraire à la tradition. On eut aussi beaucoup de peine à l’empêcher de se promener dans la salle.
En face de cet élève ingrat, comment ne pas admirer les dispositions dociles et le talent véritable du chien Toby. Toby est un nom de guerre et le chien n’y répond qu’à la scène. Il est engagé pour la durée des représentations. Mais il n’est pas cabotin de son métier. Il s’est mis avec une heureuse facilité à son nouveau rôle. Il apporte des légumes et il monte une échelle. Il montre des sentiments parfaits qu’il copie sur ceux de Robinson. Sa conduite dans les entr’actes est irréprochable. Il dort aux pieds de son directeur et ne répond pas « Zut ! » quand l’avertisseur l’appelle en scène. Silencieux et modeste, il a créé avec maîtrise le type désormais fixé du chien-étoile.
La Presse (Montréal), 20 janvier 1900.