Le bourdon, un amoureux fou du sucre des fleurs
Bien qu’il soit classé dans la catégorie générique des abeilles, le bourdon n’est pas le mâle de l’abeille. Ce dernier vient d’une des larves de la femelle bourdon fécondée par un mâle au printemps. Il arrive que les bourdons vivent en société comme les abeilles mellifères, mais ce regroupement ne compte jamais plus que quelques centaines d’individus.
Les bourdons mâles qui vivront souvent en solitaire sont expulsés au printemps du lieu d’habitation de la reine et des mois de butinage les attendent maintenant.
Dès que la température atteint 9 degrés celsius, le bourdon, avant même les abeilles mellifères, s’active à aspirer le nectar [Wohlleben, 2017 : 29]. En 2016, par exemple, le 4 mai, au moment où la première piéride se manifeste, celle des crucifères (Artogeia napi oleracea), voilà le bourdon qui butine dans le chaton de saule. La date la plus hâtive chez moi de l’apparition du bourdon est le 26 avril. Quoi qu’il en soit, l’insecte ira, pendant plus de cinq mois, de fleur en fleur : celles du grand pommetier, des pruniers, des Fraisiers sauvages (Fragaria vesca), de la Prunelle vulgaire (Prunella Vulgaris), des lilas, de la Vesce jargeau (Vicia Cracca), de la Mauve, de l’Épilobe à feuilles étroites (Epilobium angustifolium), du Géranium des prés (Geranium pratence), de la Monarde (Monarda didyma), de la Verge d’or (Solidago canadensis), parfois des Asters blancs et bleus (Aster simplex) et, finalement, du Léontodon d’automne (Leontodon autumnalis).
Et le bourdon connaît les plantes. Détenteur de sa mémoire immédiate et de l’ancestrale, il sait la fragilité du pédoncule, de la tige d’une plante. qui ne peut supporter un poids de beaucoup supérieur à la fleur. Aussi s’amène-t-il avec empressement se nourrir d’une fleur qu’il vient d’apercevoir, la prend rapidement à bras-le-corps pour arriver à son nectar, avant l’inclinaison du pédoncule. Parfois cependant, avant qu’il n’ait eu le temps de manger, la tige ploie et il doit fuir, ne s’entête pas.
Il aime la Prunelle vulgaire, au très court pédoncule, qui ne s’élève guère du sol et propose dans chacune de ses cocottes un bon nombre de corolles. Et comme cette fleur est généralement abritée par les herbes hautes qui l’entourent, il peut bien venter un vent de tous les diables, le bourdon qui la visite n’est guère dérangé.
Le bourdon est aimé des fleurs. Le quotidien français Le Monde du 22 mars 2017, se référant à un article du périodique Nature Communications [Gervasi et al., 2017], affirme que les plantes butinées par les bourdons sont heureuses de sa présence.
« Les insectes pollinisateurs assurent la reproduction des plantes, c’est bien connu. Mais ils déterminent aussi leur évolution. Des chercheurs de l’université de Zurich ont montré, pour la première fois, l’effet de l’espèce animale sur la croissance des végétaux. Ils en ont ainsi livré trois à des bourdons et des syrphes (une famille de mouches) et ce sur neuf générations. Le résultat les a ébaudis : les plants butinés par les bourdons présentent des tiges hautes, des fleurs épanouies et un parfum entêtant ; les deux autres, un air freluquet et une fragrance beaucoup plus discrète.
« Les biologistes suisses expliquent que les végétaux s’adaptent à « leurs » insectes : d’un côté, au goût des bourdons pour les odeurs fortes et des couleurs de pétales plus vives, qui améliorent leur visibilité dans l’ultraviolet ; de l’autre, à la faible activité des syrphes, qui oblige la plante à s’autopolliniser et ainsi à réduire sa croissance. Conclusion des scientifiques zurichois : les végétaux qui résisteront à la disparition actuelle des abeilles devraient sortir rabougris. »
Le bourdon connaît également les abreuvoirs à colibri ; il arrive qu’il s’y rende. Posé sur le perchoir de l’oiseau, il tente de s’étirer sur le bout de ses pattes arrières pour atteindre l’eau sucrée proposée par le bouton jaune. Finalement, après des efforts répétés, sans déployer ses ailes, il arrive à monter. Dans cette manière d’accéder à ce qu’il désirait — l’eau sucrée d’un abreuvoir à colibri — on le dirait humain. Son cerveau fonctionne à merveille.
Lorsqu’arrivent les froids de l’automne, seules les reines des bourdons s’en tirent, se terrant quelque part avec leur lot de larves, dans un endroit sec, pour passer l’hiver. Les autres meurent.
Un jour, en 2010, la saison des fleurs étant bien courte, voyant les bourdons en peine en septembre, à la recherche de nectar, je leur ai servi une assiette d’eau sucrée sur la galerie avant. Beaucoup se sont présentés pour boire.
Il m’est arrivé à quelques reprises de doucement flatter le bourdon du bout de mon doigt. Son corps vibre en permanence, on le perçoit au toucher. On pourrait le croire irrité. Mais, pas du tout, c’est sa nature.
Renseignements variés sur cet insecte attachant.
Il semble que le bourdon soit le principal visiteur de la fleur de l’épilobe. Souvent même, il dort sur ses fleurs la nuit [Marie-Victorin : 370].
Le bourdon aime le nectar fort en sucre [Albouy : 28].
Le bourdon aime les fleurs chargées d’électricité statique. [Albouy : 35].
Bourdons et papillons ne se voient à peu près jamais sur des ombellifères [Albouy : 99].
Dans la nature, il y a des butineurs cantonnés à une seule espèce et d’autres tout terrain comme l’abeille. Les bourdons sont encore plus généralistes, mais ne sont actifs que le jour et ne visitent donc pas les fleurs de nuit [Albouy : 100].
Le bourdon ne peut voler sur les îles Féroé, trop venteuses [Albouy : 23].
Albouy, Vincent, Pollinisation, Le génie de la nature, Versailles, Éditions Quae, 2018.
Gervasi, Daniel. D. L. et Schiestl, « Real-time divergent evolution in plants driven by pollinators », Nature Communications, 14 March 2017, cité dans Le Monde (Paris), « Les plantes dopées par les bourdons », 22 mars 2017, cahier Science & médecine, p. 3.
Marie-Victorin, Frère, Flore laurentienne, Éditions des Presses de l’Université de Montréal, 1964.
Wohlleben, Peter, L’horloge de la nature, Cesena, Italie, Éditions Macro, 2017.