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Êtes-vous « noble voyageur » ?

Qu’est-ce donc qu’un noble voyageur ? Découvrir l’historienne et philosophe française Marie-Madeleine Davy (1903-1998), c’est être soumis à des questions semblables. Je faisais sa connaissance, il y a plus de 40 ans, en même temps que celle du philosophe et orientaliste français Henry Corbin (1903-1978), dans L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn’Arabi.

Voici la définition du « Noble voyageur » de Marie-Madeleine Davy :

Le « noble voyageur » apparaît pourvu d’une dimension cosmique, il répand sans distinction son amour sur toutes les créatures. Il est un éternel voyageur car il ne cesse de parcourir l’immensité du dedans. Le tour du monde qu’il a entrepris est le tour d’un univers illimité. Ceux qui se contentent de traverser des espaces extérieurs, clos à toute ouverture en dehors de leur famille charnelle ou spirituelle, de leur collectivité ou de leurs amis, ceux-là prennent les « nobles voyageurs » pour des étrangers. Ce sont en effet des étrangers à l’égard des limites et des frontières géographiques, sociales et spirituelles. Ces passionnés de l’Infini ne sauraient se suffire du fini.

Les « nobles voyageurs » sont des hommes comme les autres, pétris de chair et de sang, avec leur boue nauséabonde, leurs doutes, leurs problèmes, leur désespoir et leurs instants de sérénité. Ce qui les distingue des autres hommes consiste dans ce mouvement intérieur : ils se sont mis en route. Dans un tel domaine, commencer à cheminer, même si la démarche est lente et s’effectue pas à pas, nécessite de poursuivre continuellement devant soi. Il n’est pas de retour en arrière, les pieds du « noble voyageur » ne laissent aucune trace, il faut poursuivre la route sans se retourner. Dans les contes de Grimm, les enfants perdus, comme dans toutes les légendes, jettent des petits cailloux blancs pour retrouver leur route, ou des mies de pain que les oiseaux dévorent.

Pour le « noble voyageur » il n’est ni cailloux ni miettes. Il ne souhaite pas revenir à son point de départ temporel. Plus encore, il oublie la distance franchie ; il ne saurait évaluer les lieues qu’il a pu parcourir. Pour lui, le passé s’efface, l’important est d’aller de l’avant. C’est pourquoi un tel pèlerin se tient dans l’instant présent dans lequel il ne cesse de prendre et de reprendre son élan. Il est vide de son  passé, vide de désir. Les faits enregistrés dans sa mémoire ne sauraient l’encombrer, il ne les retient pas.

Il pourrait souhaiter telle ou  telle rencontre, chercher à susciter tel ou tel événement, mais il se garde d’attirer les choses car il ignore si elles lui conviennent. L’obéissance du « noble voyageur » est totale, elle concerne la reconnaissance des lois secrètes régissant la démarche intérieure. Abandon à la volonté divine, disent parfois les hommes pieux. Le terme est juste mais le plus souvent mal compris. La volonté divine risque d’être confondue avec la réalisation de l’événement humainement suscité par soi-même.

Le « noble voyageur » se tient constamment dans un état de disponibilité. Il ignore où il va et quel est son devenir.

 

Marie-Madeleine Davy, L’homme intérieur et ses métamorphoses, Paris, Éditions Albin Michel, 2005, collection  Espaces libres, p. 50-52.

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