Skip to content

J’ai toujours aimé le philosophe français Michel Serres

Pas facile d’accès dans ses ouvrages, je l’admets. Mais quel homme de réflexions magnifiques.

Et si nous lui demandions comment tout cela a commencé ? Philosophe, il se fait aussi poète manifestement.

Enfin, le commencement.

Au commencement est le tohu-bohu. Nous disons aujourd’hui : le bruit, le bruit de fond. D’où voulez-vous qu’émerge le verbe, sinon du bruit. Nos aïeux disaient : le chaos. Ils étaient placés dans un monde et nous sommes plongés dans des flots de signaux. À chacun son désordre, au bord limite de tout ordre. Mais cela ne fait pas autant de différence qu’on croit. Pantagruel, tout comme nous et tant d’autres navigateurs, avait rangé les îles Tohu et Bohu avant de se noyer au tumulte et aux clameurs de l’ouragan. On ne fait pas naufrage tous les jours. Vient celui où le vaisseau passe, au milieu des voix insensées.

Au commencement est l’indéchiffrable, sur quoi nul ne saurait avoir d’information. Cela peut s’appeler : nuage. Un ensemble de points, d’atomes ou de moles, d’éléments tout à fait quelconques, dont le comportement est ignoré, nuages à bords non définis, fluctuant ou fondus. Quelque essaim d’abeilles en déplacement capricieux, ou son ombre portée. Un lac de taches ou un banc de nuées. Ce météore est le modèle d’un savoir formé un peu avant le siècle, à l’évanouissement des systèmes, quand les grandes populations faisaient irruption et se versaient sur quelques têtes. Elles furent tout près d’en perdre le temps : si au commencement est le nuage, c’est celui qui vole ici-haut, maintenant, puis là-bas, tout à l’heure, c’est celui qui passait, naguère, autrefois ou jadis, ou la masse basse et lourde qui noircira un jour la nuque de mes nièces. Nuages dispersés, toujours là, dans le lit étoilé des vents, et qui m’ont fait perdre le temps. Météores. […]

1976, jour du printemps.

 

Manifestement, Michel Serres avait la forme.

 

Michel Serres, Hermès IV, La distribution, Paris, Les Éditions de minuit, 1977, p. 9. Ces lignes sont les premiers mots de la préface de son livre.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS