Nous sommes en France
Que dit-on des Québécois à Paris en 1888 ?
Je parle de ceux descendant des Français venus s’installer le long du Saint-Laurent ?
En août 1888, on demande à Paul Leroy-Beaulieu (1843-1916) d’ouvrir, avec un discours, la réunion annuelle de la Société d’économie sociale, une association fondée par l’ingénieur, sociologue et économiste Frédéric Le Play (1806-1882).
Le Play a marqué quelques Québécois importants de la fin du 19e siècle et du début du 20e, dont Alphonse Desjardins.
Mais laissons la parole à Leroy-Beaulieu.
Nous avons déjà dit qu’au cours de son discours d’ouverture, à la réunion annuelle de la Société d’économie sociale, M. Leroy-Beaulieu avait parlé en excellents termes de notre pays. Nous empruntons au compte-rendu publié par la Réforme Sociale, les passages de ce discours relatif au Canada :
« Vous avez gardé de M. Le Play, Messieurs, ce goût pour les explorations à travers le monde. Vous êtes colonisateurs, c’est ce qui fait que je me trouve parfaitement bien parmi vous, moi vieux colonial. Vous vous intéressez à l’action de la France au dehors.
Vous étudiez avec passion nos colonies nouvelles, vous en faites souvent l’objet de vos discussions, l’Algérie, la Tunisie, Madagascar, l’Indo-Chine ; vous vous intéressez aussi à nos colonies perdues, celles qui ne restent parmi vous à l’état de souvenir et de remords, [l’île] Maurice, le Canada.
« Le Canada, il vous appartient presque ! il vous appartient par toutes les études que vous lui avez consacrées ; par les intérêts que quelques-uns d’entre vous y possèdent ; il vous appartient surtout parce que, quand vous voulez signaler un peuple qui pratique dans une large mesure les doctrines de votre fondateur, c’est le Canada que vous pouvez montrer. (Applaudissements)
« Il se trouvait là, au nord d’un continent immense, 60,000 hommes qui avaient été oubliés par nous il y a 125 ans. Ils ont gardé leurs vieilles coutumes, leur esprit traditionnel, leurs croyances, leurs mœurs et leur langue ; et en se pliant avec une rare énergie à toutes les modifications extérieures que nécessitaient les temps actuels, séparés politiquement de la mère-patrie, n’ayant plus avec elle, pendant un siècle, aucune relation, ni morale, ni matérielle, ces 60,000 abandonnés du traité de 1763 sont devenus deux millions et demi à trois millions d’hommes.
« Ils sont descendus comme des envahisseurs dans ce monde immense qu’on appelle les États-Unis ; ils y forment des groupes croissants qui maintiennent leur caractère original, si bien que les penseurs se sont demandés s’il n’y a pas là une race française nouvelle qui va s’implanter dans le nord du Nouveau-Monde et qui, dans trois, quatre ou cinq siècles, égalera en nombre la race française ancienne. » (Bravos)
Le Canadien (Québec), 10 août 1888.