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Le Christ a assurément croisé, sans trop la remarquer, la Piéride du chou

Je ne cultive pas de choux et j’aime bien ce papillon qui nous est arrivé d’Europe sous le Régime français. On ne lui connaît pas de prédateur, si bien qu’il a traversé le temps plus facilement que d’autres espèces de papillon et connaît jusqu’à quatre générations dans une saison annuelle.

Il pond ses œufs au centre d’un chou qui commence son développement et ses chenilles dévoreront le cœur du légume, ce qui fait, bien sûr, le malheur du jardinier.

À l’époque du Christ, il sévissait. Et l’entomologiste et homme de science Jean-Henri Fabre (1823-1915) affirme que le grand naturaliste latin Pline l’Ancien (né en 23 apr. J.-C. et décédé en 79 apr. J.-C.) rapporte qu’on dressait un pal [un pieu] au milieu du carré de choux à protéger, et sur ce pal on disposait un crâne de cheval blanchi au soleil, un crâne de jument convenait mieux encore ».

Bon joueur, Fabre ajoute :

Pareil épouvantail était censé tenir au large la dévorante engeance.

Ma confiance est très médiocre en ce préservatif ; si je le mentionne, c’est qu’il me rappelle une pratique usitée de notre temps, du moins dans mon voisinage. Rien n’est vivace comme l’absurde. La tradition a conservé, en le simplifiant, l’antique appareil protecteur dont parle Pline, Au crâne de cheval on a substitué la coquille d’un œuf dont on coiffe une baguette dressée parmi les choux. C’est d’installation plus facile ; c’est aussi d’efficacité équivalente, c’est-à-dire que cela n’aboutit absolument à rien.

Avec un peu de crédulité, tout s’explique, même l’insensé. Si j’interroge les paysans, nos voisins, ils me disent : l’effet de la coquille d’œuf est des plus simples ; attirés par l’éclatante blancheur de l’objet, les papillons viennent y pondre. Grillés par le soleil et manquant de nourriture sur cet ingrat appui, les petites chenilles périssent, et c’est autant de moins.

J’insiste, je demande si jamais ils ont vu des plaques d’œufs ou des amas de jeunes chenilles sur ces blanches coques.

— Jamais, répondent-ils unanimement.

— Et alors ?

— Cela se faisait ainsi autrefois, et nous continuons de la faire sans autre information.

Je m’en tiens à cette réponse, persuadé que le souvenir du crâne de cheval en usage autrefois est indéracinables comme le sont les absurdités rurales implantées par les siècles.

 

J.-H. Fabre, « La chenille du chou », Les Merveilles de l’Instinct chez les Insectes, Paris, Librairie Ch. Delagrave, 1913, p. 250s.

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