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Vous avez des problèmes à aborder l’écrivain, poète et peintre d’origine belge Henri Michaux (1899-1984) ?

Voyez, par exemple, son livre Affrontements publié en 1986, vous y trouverez quelques poignées. Ainsi :

Deux nuages sont entrés dans la chambre, rôdent autour des meubles, mais sans insister, toujours nuages, toujours pour au-delà, pour absence, entre fenêtre et porte, distraits, pas apprivoisés, petits, véritables poussins de nuages, pas pour cela moins nuages, toujours dans leur espace, dans leur monde, éludant les relations comme l’œil du guépard dont, quoiqu’on fasse, on ne peut croiser le regard, qui toujours se porte au loin, attendant du lointain seul l’événement.

Tableau plein, mais qui vide, négateur qui pourtant prolonge, traître qui défait ce qu’il apporte, ayant malignement introduit celles-là mêmes qui rendent « absent », les cotonneuses présences des espaces aériens.

 * * *

Dans la clairière, près de l’arbre qui gît abattu, la partie du tronc demeurée en terre s’est emparée de la cognée du bûcheron. Une des noueuses racines, ou plutôt un des bas contreforts ligneux, a dû lentement bougé et, comme une patte d’ours, s’est posée sur l’outil du meurtre, le maintient, et ne le rendra plus. Enfin une justice. Une égalité. Une nouvelle revendication.

Un nouveau malaise pour les hommes.

Combien de temps aura-t-il fallu à la souche pour s’emparer de l’arme de l’assassin, pour l’immobiliser, empêchant qu’à nouveau elle fasse le mal ? Maintenant le geste infiniment lent est accompli. À terre, maintenue souverainement par une « patte d’arbre », patte qui, au contraire de celles des animaux, une fois posée, ne se relève plus, et ne connaît pas la fatigue, la cognée meurtrière ne pourra plus être dégagée.

Fascinant spectacle. Réponse d’un être qui n’a pu répondre assez vite, qui jamais ne put répondre à temps. Au nom des silencieux, la souche de l’arbre abattu donne la réponse tardive.

Depuis un temps immémorial, des millions d’arbres par la cognée ou par la préhistorique hache de pierre ont été abattu sans un mouvement de résistance, sans jamais une protestation. Voici un commencement qui peut faire réfléchir. De nouveaux résistants. Que restera-t-il de la royauté sur la « création » ? L’inquiétude humaine va connaître une nouvelle dimension.

 

Henri Michaux, Affrontements, Paris, Gallimard nrf, 1986.

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