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Une histoire québécoise du ciel serait fascinante

Imaginons un instant.

Ayant la presse du Québec comme source première, conscient qu’il y a tout de même un pourcentage de la population d’analphabètes, nous aurions néanmoins une idée du discours et des croyances qui se véhiculent au pays du Saint-Laurent.

Ici, par exemple, prenant prétexte du passage d’une comète, Le Journal des Trois-Rivières remonte au temps du médecin Ambroise Paré, la période où Jacques Cartier et Jean-François de La Roque de Roberval et leur équipage de plusieurs centaines de personnes — 1541-1543 — viennent fonder une colonie française à Cap-Rouge.

Le journal fait sa une de ce propos sur Paré et sa comète.

La comète qui vient de se montrer en plein ciel, rivale du soleil lui-même, appelle notre attention sur ces grands phénomènes célestes et nous invite à l’étude des lois de la nature. Quelle différence avec l’influence psychologique de ces astres mystérieux sur l’imagination de nos pères ! L’arrivée d’une comète ne les invitait pas à l’étude : elle les jetait dans une peur extrême.

 Dans un ouvrage du sixième siècle [assurément seizième plutôt], tout un chapitre leur est consacré par le célèbre chirurgien Ambroise Paré, médecin de Charles IX, comme chacun s’en souvient.

 Voici en quels termes l’auteur parle d’une comète de son siècle, la fameuse comète de 1527 [soit sept ans avant que Cartier arrive à Gaspé prendre possession du Canada au nom du roi de France] :

« L’antiquité, dit-il, n’a rien expérimenté de plus prodigieux en l’air que la comète horrible, de couleur sang, qui apparut le neuvième jour d’octobre 1528 [sic]. Cette comète était si horrible et épouvantable, elle engendrait si grande terreur au vulgaire, qu’il en mourut plusieurs de peur, et que les autres tombèrent malades. Cette étrange comète dura une heure et un quart et commença à se produire du côté du Soleil levant, puis tira vers le midi ; elle paraissait être de longueur excessive, et elle était de couleur de sang ; à son sommet on voyait la figure d’un bras courbé, tenant une grande épée en main, comme s’il eût voulu frapper.

« Au bout de la pointe, il y avait trois étoiles, mais celle qui était directement sur la pointe était plus claire et luisante que les autres. Aux deux côtés des rayons de cette comète, il se voyait un grand nombre de haches, couteaux, épées couleur de sang, parmi lesquels il y avait un grand nombre de faces humaines hideuses, avec les barbes et cheveux hérissés.

« En ce temps, le Turc fit de très grandes et sanglantes incursions sur les chrétiens. Et Charles de Bourbon prit Rome, dont l’histoire est assez connue d’ailleurs. »

 Cette citation suffit pour montrer ce qu’on pensait des comètes du temps de Charles IX et des Médicis. Et notez que, non content de sa description, Ambroise Paré publie lui-même dans son ouvrage la figure de ce monstre céleste, où l’on voit, en effet, des haches et des têtes coupées et du sang à faire frémir.

Or, si l’illustre restaurateur de la chirurgie, si le savant médecin pensait ainsi, que devait penser le peuple tremblant, naïf et absolument ignorant des choses de la nature ?

 

Le Journal des Trois-Rivières, 23 octobre 1882.

L’illustration de la comète d’Ambroise Paré apparaît sur le site de Jacques Crovisier.

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