Que faire avec ceux et celles qui mendient ?
Les efforts systématiques que l’on fait pour débarrasser la ville des mendiants de la rue prennent des proportions sérieuses. Les citoyens et la police travaillent de concert avec les philanthropes des deux institutions de secours, le refuge de M. Ouimet et la société de protection des vieillards, des femmes et des enfants.
Un ordre est donné depuis d’arrêter tous les mendiants, ceux qui sont autorisés à mendier ou non, et de les amener devant le chef Legault, qui verra à les faire entrer dans des institutions de secours.
La société nouvelle organisée par l’ex-policier Rivest fera le choix entre les plus méritants, trouvera de l’ouvrage aux miséreux en état de travailler et recevra rue Dorchester les infirmes ou impotents que les hasards de la vie ont jeté sans appui dans les rues de Montréal.
La société nouvelle veut absolument faire disparaître la mendicité de par les rues. Plusieurs marchands ont résolu de payer une contribution hebdomadaire aux fonds de la société s’ils peuvent être débarrassés des quémandeurs innombrables qui assiègent journellement leurs magasins. […]
Plusieurs des mendiants qui inondent nos rues ont fui les institutions de charité quelconques de la ville où ils ne pouvaient s’astreindre [à] la règle plus ou moins sévère qu’il faut suivre dans ces établissements. Naturellement, si ces personnages ont fui la règle des institutions de charité il sera difficile de les y renvoyer attendu qu’ils préfèrent souvent conserver leur liberté en vivotant au jour le jour en parasites, dans quelques bas-fonds de la ville où ils peuvent satisfaire ou leurs penchants ou leurs vices de paresse ou souvent d’ivrognerie.
On supposerait peut-être chez les âmes charitables que la crainte de la prison ferait peut-être naître un faible esprit de discipline chez ces déshérités volontaires de la vie. Mais non, pour ces pauvres hères grands seigneurs, la geôle n’a plus de terreur et le tribunal de justice n’a pas de crainte à leur inspirer. Tous pour la plupart consentent à aller en prison, mais la règle des institutions de charité les épouvante. Ce sont surtout les étrangers à la ville qui encombrent les cellules de prison.
Les recorders [juges de la Cour municipale] sont tellement habitués à ces faux miséreux qu’ils ne les envoient plus en prison. Chaque fois que la cour a eu affaire à ces intéressants sujets, elle les a envoyés aux institutions de charité afin de voir s’il n’y a pas moyen d’enrayer ce mal toujours grandissant quand viennent les vents froids de l’automne.
Le Canada (Montréal), 30 septembre 1903.
L’illustration provient de l’ouvrage de Guy Boulizon, Contes et récits canadiens d’autrefois, Montréal, Éditions Beauchemin, 1961.