Hommage à la langue québécoise
Le capitaine Joseph-Damase Chartrand, militaire et écrivain né à Saint-Vincent-de-Paul (aujourd’hui ville de Laval), amoureux fou de la France, décide de déménager à Paris au milieu des années 1870, à 24 ans. Son épouse le rejoint par la suite.
Le couple y demeure finalement vingt ans et aime recevoir les personnalités qui font la manchette au Québec : Louis-Adolphe Chapleau, Honoré Mercier, Honoré Beaugrand, Hector Fabre, L.-O. David, Benjamin Sulte, Louis Fréchette…
Dans une chronique estivale envoyée au quotidien montréalais La Patrie, Chartrand redécouvre le plaisir de parler québécois.
Je suis très gai ce soir, écrit-il, causant avec vous. Je viens de passer une semaine délicieuse. Deux Canadiennes, Madame et Mademoiselle Gingras, de Montréal, m’ont fait le plaisir de rester chez moi pendant huit jours.
J’étais en plein Canada, j’avais complètement retrouvé l’accent et les mots d’antan. J’étonnais mon ordonnance en lui disant d’aller au side-board, d’ouvrir les chassis, de mettre mon bébé dans son ber. Je crois même que je lui ai dit d’aller chercher mes slippers pour le faire étriver un peu.
À table, je me rappelais les excellents plats de mon enfance : le blé d’Inde bouilli, les toasts, les tourtières, les pétaques, les fricots de pattes. J’oubliais le vin et je ne buvais que du thé.
J’étais complètement transformé.
J’ai voulu mener mes visiteurs voir les beautés du pays environnant. Pour ce, nous sommes allés au Dépôt prendre nos tickets, et après avoir embarqué dans les chars, le convoi s’est ébranlé et est parti à pleine vitesse, entraîné par un engin, qui filait comme le vent.
Arrivés à destination, nous avons pris les chars-urbains qui nous ont déposé dans un magnifique carré public, d’où nous sommes partis, dans une diligence, qui nous a portés au pied des ruines d’un vieux château féodal, que je tenais à faire visiter à mes compatriotes.
Mon Dieu ! que vous avez tort au Canada de vous moquer de toutes les expressions locales. Si vous saviez comme elles ont de la saveur après quatorze ans d’absence. Ces dames canadiennes parlaient le français très correctement, trop correctement à mon gré, et moi, je m’étudiais à me rappeler les termes de chez nous, sachant bien qu’elles me comprendraient.
Et comme j’étais heureux de les voir sourire quand je trouvais l’expression exacte, celle qui rendait bien ma pensée de Canadien amoureux de son terroir, fier d’avoir vu le jour dans l’île de Jésus, qu’arrose cette jolie rivière des Prairies.
Ch. Des Écorres, « Causerie de vacances », La Patrie (Montréal), 26 août 1890. Chartrand se donnait souvent ce pseudonyme.
L’écrivaine de Québec Cosette Marcoux-Boivin est l’auteure de la biographie de Chartrand dans le Dictionnaire biographique du Canada.