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« Les villages immuables »

Dans les villes tumultueuses où, malgré la promiscuité physique, la solitude morale de l’homme est si complète, il y a des fluctuations et des séismes.

Les civilisations s’effritent après s’être entrechoquées comme des vagues. Les peuples se laissent asservir par les monstres qu’ils engendrent.

Seuls, inondés de lumière douce, respirant la vie par leurs portes ouvertes et baignant l’image de leurs pignons dans l’eau vivante d’une rivière, les villages tranquilles participent à une espèce d’éternité reposante. Ils n’ont pas de passé. Ils n’ont pas non plus d’avenir. Ils s’éteignent dans le calme des soirs et la clarté blanche des aubes les voit renaître.

Les villages sont immuables.

L’aube met sa palpitation lumineuse sur l’amas vert de la proche forêt. Il y a une émotion qui fait frémir les cimes. Toute la terre semble tressaillir quand le jour s’élève des langes humides de la nuit. Mythe éternel, il s’avance sur l’herbe des prairies que la rosée diamante. Il secoue des rayons de ses paumes ferventes. Des traits dorés sortent de ses yeux. Il tord ses cheveux de soleil dans l’onde glauque de la rivière. Et le village s’éveille au cri pourpre des coqs. Les chiens aboient, les portes grincent et les cheminées, révélatrices de la vie humaine, commencent à fumer dans la brume argentée. Une allégresse préside à ce réveil. On dirait un moment qu’une gaieté folle va éclater dans l’air et danser sur les toits.

 

Clément Marchand, « Courriers des villages », extrait de Les œuvres d’aujourd’hui, recueil littéraire trimestriel no 1, Montréal, Éditions de L’A. C.-F., 1937, p. 197.

Ci-haut le village de Saint-Urbain, dans Charlevoix, photographié par Paul Carpentier en 1951. La photographie est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds ministère de la Culture et des Communications, Office du film du Québec, Documents iconographiques, cote : E6,S7,SS1,P87346.

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