Allez, on se ravise pour la comète
On croyait bien que tout était terminé au sujet de la comète de Halley qu’on n’avait pas réussi à voir en mai. La déception était grande, d’autant plus que les journaux en parlaient quotidiennement. Mais, enfin, avant que le mois se termine, la voilà.
Les comètes ont leur coquetterie tout comme les jolies femmes et, comme ces dernières, elles savent se faire attendre de leurs admirateurs. N’en gardons pas trop rancune à celle de Halley de ne s’être montrée qu’hier soir ; il fallait bien qu’elle y mit le temps pour arranger sa traîne et refaire sa tête.
Elle s’est montrée et c’est là le principal, mettant ainsi fin aux vilains propos que les astronomes tenaient sur le compte de sa conduite de vagabonde.
Mais ce n’était vraiment pas la peine de prendre tant de temps à changer de toilette, pour se faire voir aussi brillante qu’hier soir.
D’abord, a-t-elle réellement changé de toilette ? Un doute est permis en dépit des affirmations de certains astronomes, puisqu’elle porte sa traîne de la même manière que celle que nous lui avons vue, alors qu’elle voyageait dans les cieux de l’est et surtout parce que sa nouvelle traîne — si toutefois ce n’est pas l’ancienne — est faite de gaz cyanogène si transparent qu’on voit les étoiles à travers. Il est même fort peu probable que la mode adopte le gaz cyanogène pour les toilettes de nos élégantes à cause du danger qu’offre cette composition pour les narines délicates.
Enfin, la comète de Halley y aura tout de même perdu à se faire tant attendre, puisque des astronomes français s. v. p. osent à ce point manquer de courtoisie que de ne vouloir pas la reconnaître, disant qu’elle est une fausse comète de Halley et que la véritable ne sera visible pour nous qu’en août ou septembre prochain.
En tous cas, guère rassurants les astronomes français puisqu’il nous obligent à appréhender un nouveau passage à travers une queue cyanogénisée.
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Mais, toutes ces considérations étant tirées, parlons un peu de la comète, telle que nous l’avons vue hier soir, telle probablement que nous la verrons ce soir, si le ciel est aussi limpide qu’hier, et de l’effet de curiosité qu’elle a produit sur notre population.
Un grand nombre d’astronomes amateurs ont téléphoné à La Patrie pour nous annoncer que la comète de Halley, que l’on croyait à jamais perdue, était retrouvée et qu’elle était visible à l’œil nu — tête et queue — à un point quelque part au nord de l’ouest de l’horizon, comme qui dirait au-dessus de l’Académie du Plateau.
De fait, bien qu’elle filât à une vitesse de 1583 milles à la minute, elle ne paraissait pas précipiter ses mouvements et elle fut visible entre huit heures et dix heures et demie, alors qu’elle disparut dans un groupe de nuages. Moins brillante que dans le ciel de l’est, elle était cependant assez glorieuse pour se laisser distinguer entre les autres étoiles, sa teinte étant plus vaporeuse dans l’arc de sa queue couvrant, en éventail, une bonne partie de la voûte céleste, sa tête paraissant à l’œil nu de la grosseur d’une tête d’enfant et, à l’aide de bons verres, prenant l’aspect d’un réflecteur de locomotive.
Sa queue fut d’abord à peine visible, mais, vers les neuf heures, elle devint plus distincte, donnant l’impression de longs rayons de sémaphore, tantôt plus brillants, tantôt moins, et qu’il était facile de perdre de vue si l’on se laissait distraire par quelqu’autre lumière environnante.
Qui nous dira jamais si la comète elle-même s’est aperçue de l’absence ou de la présence d’un appendice aussi peu consistant, puisque sa tête voyageait quelques millions de milles en avant ?
Cependant, comme la céleste rôdeuse ne se trouvait hier soir qu’à 28,000,000 de milles de notre planète, et que la nuit était claire, on comprend qu’un grand nombre de personnes n’ont pu faire autrement que l’apercevoir ; il eut fallu être myope pour ne pas la voir à une aussi faible distance.
Enfin, comme la comète sera encore visible pendant quelque temps, et qu’il est établi qu’elle a une queue, il sera facile de se reprendre à ceux qui ont manqué le spectacle d’hier.
La Patrie (Montréal), 27 mai 1910.