Étonnamment, retour sur la fidélité du chien
Et c’est pur hasard.
Le chroniqueur du Canada qui signe Clairon revient d’une exposition canine à Montréal.
« Denied in heaven the soul he held on earth. » Ce vers de Byron me chantait dans l’esprit pendant que je visitais, l’autre jour, l’exposition canine ; et je me demandais si vraiment il n’y a que de l’instinct derrière les yeux tendres au regard parfois si profond des toutous.
« Où finit donc l’instinct ? où commence l’âme ? » écrivait naguère Gaétane de Montreuil, après avoir relaté l’histoire d’un chien qui s’était laissé mourir de faim sur la tombe de sa maîtresse, une miséreuse abandonnée par des ingrats que, orphelins, elle avait recueillis et élevés.
Et la chroniqueuse ajoutait : « Ô mon Dieu ! la douleur qui pleurait dans le cœur de cette brute, de quel œil l’avez-vous considérée, et de quel œil regardez-vous l’ingratitude humaine ?… »
Les traits d’attachement sont fréquents chez les chiens ; bien rares sont les gens qui n’ont pas été témoins de la fidélité de ces humbles amis ; plus rares peut-être sont ceux qui ont eu le spectacle de la fidélité humaine.
Cette constatation est outrageante pour la fierté de notre âme immortelle, mais le « dieu tombé qui se souvient des cieux » peut hélas recevoir d’humiliantes leçons des êtres inférieurs qui vont à quatre pattes.
Je ne veux pas me donner des airs à la Lord Byron, dont on connaît l’ode sublime consacrée à la mémoire de son terre-neuve ; toutefois, je n’ai pu laisser disparaître sans le saluer de vibrants adieux de la lyre un intelligent et bel épagneul que je perdis, l’hiver dernier.
Cette épitaphe avait au moins le mérite de la sincérité ; en pourrait-on dire autant de vous tous, marbres pompeux des cimetières qui pesez sur notre cendre orgueilleuse ?
Clairon.
Le Canada (Montréal), 25 mai 1903. Clairon est le pseudonyme que se donnait le poète Charles Gill dans le quotidien montréalais Le Canada en 1903.