Nous voyageons depuis longtemps, pourquoi les plantes ne voyageraient-elles pas ?
Il est assez fréquent, dirais-je, qu’on s’en prenne aux plantes naturalisées, ces plantes venues de loin et ayant déjà développé une capacité de résistance à de multiples conditions.
Aussi, dans un nouveau milieu, elles vont souvent occuper les niches des plantes indigènes, amenant celles-ci à disparaître.
Je comprends qu’on dénonce ces plantes. Mais alors, pour empêcher leurs nombreuses invasions, il ne fallait pas nous mettre à voyager voilà 500 ans.
Le biologiste et agronome Camille Rousseau a travaillé sur ces plantes au Québec. En 1968, il nous a fait cadeau d’un formidable travail, «Histoire, habitat et distribution de 220 plantes introduites au Québec», paru dans le Naturaliste canadien, numéro 95, p. 49-169.
Trois ans plus tard, il poursuivait sa démarche avec « Une classification de la flore synanthropique du Québec et de l’Ontario », I. Caractères généraux, II. Liste des espèces, paru ans le Naturaliste canadien, numéro 98, p. 529-533, 697-730. Ce dernier travail, très riche aussi, propose en particulier une véritable chronologie de nombreuses plantes introduites au Québec, et sans compter surtout la réflexion qu’il mène.
Voici d’abord les trois premiers paragraphes de ce nouveau document fort original du biologiste et agronome Camille Rousseau :
Une espèce synanthropique peut être définie comme une plante qui suit l’homme ou les activités humaines. La plupart d’entre elles ont été introduites intentionnellement ou non depuis le début du dix-septième siècle et elles sont arrivées sur le territoire couvert par le présent travail, de l’une ou l’autre des façons suivantes.
Premièrement, comme impureté dans les semences de Graminées et de Légumineuses. Ce transport s’est effectué depuis le temps des premiers colons jusqu’à nos jours. Deuxièmement, des plantes ont été apportées d’Europe par ces gens pour nourrir les animaux domestiques et sans le vouloir, ils ont introduit un grand nombre d’espèces indésirables. Troisièmement, on a importé des plantes ornementales et comme on leur a permis de s’échapper des jardins, certaines ont pris des propensions qui devinrent très rapidement incontrôlables. Quatrièmement, les ballasts de bateaux et de chemins de fer doivent aussi être tenus responsables de la venue d’une certaine quantité d’indésirables. Cinquièmement, les moulins de laine et les manufactures de toutes sortes ont apporté leur contribution pour grossir le nombre des adventices. Sixièmement, le déboisement a immédiatement favorisé le déplacement vers nos régions d’espèces indigènes plus au sud-ouest.
Nous remarquons que la grande majorité de nos plantes les plus envahissantes proviennent d’Europe alors que la plupart de nos espèces indigènes demeurent restreintes à leur habitat propre. Des facteurs génétiques nous semblent donner une réponse à cette constatation. En effet, on a déboisé l’Europe plusieurs siècles avant l’Amérique, ce qui a amené l’apparition d’espèces avec lignées génétiques bien adaptées aux lieux ouverts et de plein soleil. Ces entités sont devenues beaucoup plus tolérantes devant les facteurs du milieu par suite de la forte compétition qu’elles ont subie. Ces plantes peuvent donc envahir les lieux incultes et le bord des routes beaucoup plus facilement que nos espèces indigènes. Ajoutons que certains êtres vivants, transplantés de leur pays d’origine vers d’autres contrées favorables à leur développement, peuvent proliférer d’une façon extraordinaire. L’invasion du lapin en Australie n’est-il pas un cas classique ?
Le spécialiste conclut dans un premier temps que, parmi les espèces d’origine étrangère, 45, 1% ont été volontairement introduites, alors que 54, 9% sont le résultat d’une introduction fortuite. Quatorze pour cent furent introduites au 17e et 18e siècle, 40 % au 19e siècle et 46% au 20e siècle. Quarante-quatre pour cent viennent d’Europe, 31, 8% d’Eurasie, 6, 8% d’Asie, 12, 7% d’Amérique du Nord, 2, 8 % d’Amérique centrale, 1, 1% d’Amérique du Sud et 0, 3% d’Afrique.
Deux autres constats fort intéressants. « Les plantes présentement très nuisibles aux cultures devaient en grande majorité être les mêmes que connurent nos ancêtres du siècle dernier. La compétition exercée par ces espèces contribue certes à diminuer l’espace qui demeure disponible pour de nouvelles introductions. »
« Nous avons voulu insister davantage sur l’histoire de notre flore introduite ; cet aspect est malheureusement fort négligé autant par les botanistes que par les historiens et nous sommes d’avis qu’il, serait intéressant d’entreprendre des recherches dans ce domaine. »
Les documents du biologiste et agronome Camille Rousseau sont tellement riches d’informations.
Les caractères gras sont de nous.
Ci-haut le Léontodon d’automne, plante abondante chez moi, fort résistante aux chocs du milieu et dont je parlais voilà quelques mois. Il faut la neige, et les gelées répétées, pour l’abattre. Et encore. Un jour peut-être, arriverons-nous à percer le secret de la durée dans des plantes semblables.