Deux poèmes brûlants de Reine Malouin
Dans son premier recueil de poésie, Les Murmures, proposé à Paris sous forme de manuscrit en 1936 et publié à compte d’auteur, trois ans plus tard, la poète originaire de Québec, Reine Malouin, née Voiselle, (1898-1976), a reconnu que certains de ses poèmes ont été trempés dans l’eau bénite. Mais pas tous, pas tous. En voici deux plus audacieux.
M’avez-vous appelée ?
Tout n’était que silence en la nuit étoilée ;
Tous les parfums d’été sommeillaient dans le soir ;
Je n’osais pas bouger, de crainte de les voir
Se réveiller, s’enfuir dans une course ailée.
Je tenais ma pensée insensible et voilée…
Un grand cœur, seul, veillait avec son frêle espoir.
Et j’ai cru vous entendre et vous apercevoir :
— O dites, mon amour, m’avez-vous appelée ?
La nuit est comme vous, si claire et si profonde,
Qu’elle semble, pour moi, contenir tout un monde :
Univers de parfums, d’ivresse et de baisers !
Oh ! j’eus le désir fou, l’intolérable envie
De vous abandonner mon âme et ses pensers,
De vous donner mon cœur, tout mon être et ma vie !
* * *
Voix de l’amour
O viens, m’a dit l’amour par un beau soir de rêve !
Viens, je t’emporterai sous le dôme des bois,
Je te ferai sentir l’ardente et riche sève
Qui soumet la nature à d’amoureuses lois.
Tu goûteras l’ivresse et l’ineffable extase,
La saveur du baiser qui grise infiniment,
Tu seras à la fois et le vin et le vase,
Tu sauras enivrer par tes enivrements !
Je ferai de ta chair un fruit mûr et suave
Que des lèvres voudront cueillir et savourer;
Tu seras la forêt mystérieuse et grave
Où l’on cherche la paix qui peut transfigurer !…
J’écoutai bien longtemps cette voix captieuse
Me parler de l’amour et de ce qu’il offrait…
La coupe au doux nectar semblait si précieuse,
Je la pris enivrée et la bus tout d’un trait.
Reine Malouin, Les murmures, Québec, 1939. La couverture est un dessin de Gaston Fiset.
Cher Jean. Ces vers étaient extrêmement audacieux pour l’époque, et pour ceux qui savaient lire entre les lignes. De magnifiques vers, d’une actualité toujours vivante. Très étonné de voir une poésie de cette qualité et de cette modernité vibrer dans l’air du temps. Pas étonné cependant que le lieu d’accueil soit Paris! Quelle femme! On a envie de mieux la connaître. René
Merci, cher René.
Il nous faudra vraiment une anthologie québécoise de nos écrivaines, nos écrivains au fil du temps, qui ont osé des textes semblables, pas du tout trempés dans l’eau bénite, sans jamais demander la permission à quelqu’autorité, religieuse ou autres.
J’ai commencé à mettre de côté de semblables textes.
Ils doivent être connus.
Et ils ne faut pas qu’ils nous échappent, diable !
Certains de mes bouquinistes sont dans le coup avec moi, et m’alimentent lorsque des livres passent.