Incontestablement, certains des plus beaux textes sur le pays sont du grand Arthur Buies (1840-1901)
Ce journaliste à la fort belle plume aimait parcourir des régions moins connues du Québec. Il a traversé la Matapédia, a passé du temps dans Charlevoix. Le voici ici dans l’Outaouais supérieur, ému par l’immensité du Nord, terre pour des surhommes.
Vouloir peindre le Nord me semble demander un effort excessif, dont je me sens d’autant plus incapable que mes forces, lasses de s’être portées longtemps sur des objets divers, me secondent péniblement aujourd’hui que je leur fais appel pour une entreprise dont le succès ferait mon orgueil et ma gloire.
C’est que le Nord, ce Nord immense, jadis impénétrable, aux proportions colossales, sombre et souvent terrifiant dans ses aspects, autant que d’autres fois il déborde de douceur et de mélancolie, semble avoir gardé l’empreinte primitive d’une grandeur à lui propre, toute spéciale, qu’on ne retrouve nulle part, grandeur souveraine qui défie l’imagination, qui repousse comme une témérité inexcusable, comme une profanation puérile toute tentative d’en reproduire une image même affaiblie.
On ne peut ni le saisir ni l’embrasser dans un cadre. Ses horizons sont trop vastes ; et pendant que le regard cherche à le fixer et à le retenir, il grandit incessamment devant lui, s’élève et gagne de plus en plus la nue, comme une lente et solennelle gravitation de notre planète vers un espace toujours reculé.
Les vagues de ses forêts, de ses collines et de ses montagnes flottent et montent dans un ciel sans limites, vers des rivages dont nul ne voit la trace, et dont la ligne de l’horizon lointain ne peut donner qu’une illusion passagère.
Quand, le soir, les grandes ombres descendant des montagnes, s’avancent comme une mer de ténèbres, épaississent et mêlent les forêts, jettent sur l’abîme sans fond des lacs une moire sombre et intense qui engloutit en quelques instants les dernières et confuses images du jour, on dirait qu’une planète inconnue, et cependant sœur de la nôtre, descend doucement des hauteurs infinies pour la couvrir de son aile et protéger son repos.
Immuables, muettes, coupant le ciel de leur longue ligne azurée, se dressant de plus en plus, et toujours reculant dans leur immobilité, à mesure que l’on croit approcher d’elles, les hautes et silencieuses montagnes, énormes et tranquilles fantômes, amoncelant la nuit autour de leurs cimes, ressemblent à des sentinelles de l’espace accomplissant sans lassitude et sans murmure une consigne éternelle.
Arthur Buies, L’Outaouais supérieur, Québec, C. Darveau, 1889, p. 6s.
Au Québec, il faut absolument perpétuer la mémoire de ce grand écrivain qui sut comprendre le pays.
La photographie, prise dans les studios Livernois à Québec, est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds J. E. Livernois Ltée, Portraits et autres photos-reportages, cote : P560,S2,D1,P1584.
On trouvera ici d’autres textes de ce cher Arthur Buies.