Où en sont nos jeunes poètes au début du 20e siècle ?
Mlle Milhau donnait, hier soir à la salle Karn une très intéressante conférence que le manque d’espace nous force à mutiler de triste façon. […]
La gracieuse conférencière nous a parlé des « Jeunes poètes canadiens-français »
Si j’ai choisi ce sujet, délicat à traiter entre tous, dit Mlle Milhau, ce n’est pas sans de bonnes raisons.
Les jeunes poètes canadiens sont vraiment trop privés d’encouragement. Il leur est très difficile, sinon impossible, de publier leurs œuvres sous forme de volume. Dans les journaux, les poésies se trouvent souvent éclipsées par des voisinages compromettants et les revues locales ne savent pas toujours discerner les vrais talents. C’est donc une bonne œuvre que de signaler au public les poètes vraiment doués.
Quatre genres semblent avoir sollicité surtout l’inspiration des poètes canadiens : la poésie sentimentale, la poésie descriptive, la poésie philosophie et la poésie historique.
La poésie sentimentale des jeunes poètes des soirées du Château de Ramsay [sic] est empreinte d’un mysticisme, d’un esprit de renoncement qui étonnent un peu. On n’y trouve point cette passion robuste et joyeuse qui semble être le propre des jeunes poètes des nations jeunes.
Nelligan et Albert Lozeau sauvent ce mysticisme mélancolique par un talent incontestable.
La poésie descriptive déçoit plus encore. Les jeunes poètes canadiens semblent n’avoir pas su comprendre les beautés naturelles de leur pays. On a reproché à certain gouvernement de sacrifier, de gaieté de cœur, les bois et les chutes d’eau de la province. On pourrait avec plus de raison faire le même reproche aux jeunes poètes qui nous occupent.
Nelligan se forge une nature factice, dont il n’emploie les paysages qu’à traduire ses états d’âme. Chez Albert Lozeau, la description manque un peu de caractère, encore qu’il ait esquissé de petits tableaux très finement vus. À Charles Gill, le monde extérieur suggère des pensées plutôt que des descriptions et on ne sait s’il faut s’en féliciter ou s’en plaindre. M. Gonzalve Désaulniers est, avec monsieur Lucien Rénier, un des rares poètes qui aient su tirer parti des beautés du pays. Il faut citer du premier « Les Pins », du second « La moisson d’orge », en regrettant qu’ils ne produisent pas davantage.
Mlle Milhau, après avoir constaté l’abandon du genre épique et patriotique, examine ensuite les poèmes philosophiques de nos jeunes. Le maître en ce genre est assurément Charles Gill, dont « Le chercheur d’or », la « Neige de Noël », la « Cloche », les « Étoiles » valent mieux qu’un hommage hâtif.
Dans tous ces poèmes, quels qu’ils soient, on retrouve l’influence de l’éducation religieuse et l’influence des poètes français contemporains. On ne saurait reprocher aux jeunes écrivains du Canada de trop lire les écrivains de France, mais il est permis de leur conseiller de chercher à mieux dégager leur personnalité par un travail persévérant.
Le Canada (Montréal), 30 mars 1905.
Les caractères gras sont de moi. Sans doute que cette dame percevait déjà qu’une partie de la production de ces jeunes poètes, comme celle des plus anciens d’ailleurs, trempée dans l’eau bénite, arriverait mal à traverser les temps. Chose certaine, on le constate maintenant cent ans plus tard. Des poèmes, enrobés de bondieuseries, ont tellement vieilli qu’ils ne sont plus guère d’intérêt, alors que d’autres brillent toujours. Le danger, c’est que nous ne retournions pas dans la production de ce temps pour au moins repêcher ce qui a fort bien vieilli.
Sans nier le rôle social souvent utile qu’elle joua, l’Église fut bien puissante au Québec, du moins chez les personnes parlant français, laissant peu de place à celles et ceux qui avaient envie de sortir du rang.
Exemple. Non seulement elle fut impériale pour imposer de plusieurs façons son paranormal qu’elle appelait le surnaturel, mais elle sut à l’occasion, si cela pouvait la servir, utiliser le paranormal profane que les populations s’étaient donné.