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Qui a souvenance du journaliste et romancier Jean-Charles Harvey (1891-1967) ?

D’abord, comme tous les Harvey du monde, il vient de Charlevoix. Et il a tant aimé la polémique. On eut dit qu’il portait toujours avec lui une boîte d’allumettes pour mettre le feu à chaque fois que l’occasion se présentait. Il trouvait son temps et les siens avachis, et dangereusement de droite. Son roman Les Demi-civilisés en 1934 lui vaut la condamnation de l’archevêque de Québec moins de trois semaines après sa parution.

Dans le Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord (Montréal, Fides, 1989) de Réginald Hamel, John Hare et Paul Wyczynski, on cite Marcel-Aimé Gagnon affirmant qu’il s’agit certainement de « l’ouvrage le plus virulent jamais écrit contre l’abrutissement d’une société qui continuait à sommeiller ».

Mais Harvey ne fut pas que virulent. En 1926, il publie un livre de ses critiques littéraires à gauche et à droite depuis trois ans. Bien sûr, à l’occasion, il dénonce ce qu’il dit être « l’atrophie de la pensée ». Mais, parfois, vraiment, il se laisse émouvoir. Ainsi en fut-il pour l’ouvrage d’Adjutor Rivard, Chez nous, Chez nos gens. Extrait.

Qui n’a laissé un peu de son cœur dans la vieille maison où le sang de la famille s’est transmis dans la joie et dans la douleur, d’une génération à l’autre ? Je m’émeus au souvenir du toit gris sous lequel vivait mon aïeul, un vieillard tout blanc et très bon, sensible comme une jeune fille, qui nous embrassait à travers un sourire et des larmes. C’était le beau temps.

Je courais à travers champs, sans chapeau et pieds nus, je pillais les concombres du jardin et je dévorais le légume frais à l’ombre d’un vieux cerisier; je dérobais aux pommiers des fruits verts, acides, durs et délicieux; je trempais mon pantalon  râpé, — un pantalon taillé à même ceux de mon père, — dans une mare de grenouilles et de têtards, et, le soir venu, mort de fatigue, noir comme un moricaud, crotté jusqu’aux oreilles, je rentrais sûr d’être grondé, mais fier d’avoir découvert des nids, des ruisseaux, des sources et des crapauds.

O cette maison ! Vaste, simple, rustique et reposante, pleine d’oncles et de tantes qui nous chantaient des chansons drôles et nous contaient des contes de fées ! Je la revois encore avec ses pièces larges et son plafond bas, ses meubles de bois naturel et polis par un demi-siècle d’usage, sa grand’chambre, toujours fermée, sentant le moisi et peuplée du tic-tac de sa vieille horloge, ses lits à matelas de paille où nous dormions si dru, sa couleur indécise qui lui donnait un air ancien et vénérable.

Il faisait bon y vivre parce qu’on y éprouvait la sensation d’un long passé qui nous enveloppait, nous les petits-fils d’une atmosphère d’indulgence et d’amour. Il y avait bien la grand’mère que l’âge rendait de plus en plus hargneuse et qui me parlait cru, dans ses mauvais moments; mais je lui pardonnais volontiers, quand elle tirait du four un pain qui sentait bon à ravir et qu’elle nous distribuait des tartines encore brûlantes et lourdes de bon beurre.

Cette maison était bâtie sur le site le plus élevé du rang Terrebonne, dans Saint-Irénée en Charlevoix. La clameur des petites chutes et des cascades du Gros-Ruisseau venaient jusque-là, par les soirs calmes, alors que le soleil se posait dans sa pourpre, comme un cardinal en chapelle ardente, et que le grand fleuve, tout en bas, donnait un baiser rose à l’ombre des Laurentides, qui peu à peu, se couchait sur la vague. Toute la beauté des choses semblait se concentrer sur ce coin de pays où naquirent et moururent ceux dont je sens vivre en moi des parcelles d’âme transmises dans la tendresse et la fidélité.

 

Jean-Charles Harvey, Pages de critique sur quelques aspects de la littérature française au Canada, Québec Compagnie d’imprimerie Le Soleil Ltée, 1926, p. 73s.

Au 630, rue Fraser, dans le quartier Montcalm, à Québec, il y a une plaque signalant que Jean-Charles Harvey a déjà habité ces lieux. La photographie de cette plaque apparaît sur la page Wikipédia qui lui est consacrée.

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