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Dans la série «Réflexions sur le silence» (2)

Voilà celle d’un philosophe français de l’esthétisme, Étienne Souriau (1892-1979), originaire de Lille, en France.

Le droit au silence

Quel que soit le rôle du langage, soit pour exprimer des pensées soit pour agir parmi les hommes et sur les hommes, l’abstention a aussi sa place dans les attitudes du langage. J’ai déjà cité Emerson louant les arbres de leur silence. Il faudrait n’avoir en vérité aucune sensibilité esthétique pour contester la beauté du silence, cette beauté qui entre comme un facteur puissant dans la beauté des forêts — «le fond des bois et leur vaste silence» — ou dans celle de la solitude.

Solitude et silence. C’est dans cette atmosphère grandiose que se développe en toute amplitude, en toute autonomie la vie intérieure. […]

En ce qui concerne la vie personnelle, ce qu’il faut dire c’est que ce climat de solitude fait partie de sa beauté, et qu’on ne peut s’en départir qu’à grand risque. Certains risques assurément sont beaux à courir, mais non celui-ci, qui est le risque de prostituer des choses sacrées. […]

L’entreprise d’avoir une belle vie intérieure implique le courage d’en affronter la solitude, et même de faire de cette solitude l’atmosphère esthétique de toute l’œuvre.

Solitude purement humaine, car rien n’y interdit, bien au contraire, d’y recevoir toutes les aides et toutes les collaborations qu’y peuvent apporter nature et cosmos.

Car redisons-le, cette œuvre de solitude est avant tout une œuvre de silence. Entreprise difficile, que d’éteindre en soi le verbiage incessant des dires étrangers, assidument reproduits en soi par le caquetage non seulement du langage intérieur mais de toutes les images et de toutes les idées, et même de toutes les attitudes mentales, qui ont pour trame le tissu verbal dont notre intériorité est entrelacée comme par ses fibres. Et plus souvent encore, il est difficile de refaire un tissu neuf de vie intérieure sans ces fibres étrangères. Mais que les nuages et les arbres, les soleils couchants ou les vagues, et même les visages humains sans paroles, je dis dans leur réalité comprise en nous et non dans les mots qui les évoquent, puissent être les notes de cette symphonie, ce que nous voulons dans cette solitude bénie, c’est un chœur à bouche fermée.

 

Étienne Souriau, La couronne d’herbes, Esquisse d’une morale sur des bases purement esthétiques, Paris, Union générale d’éditions, coll. 10 18, 1975, p. 76-80.

Merci beaucoup, cher Simon, pour ce sentier d’un philosophe de l’esthétisme (!) quand même.

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