Il y a des jours d’hiver au Québec où la nature emprunte le chemin de la violence
Je ne crois pas qu’à ce jour, quelqu’un ayant vécu sa vie au Québec ait noté le nombre de tempêtes de neige qu’il eut à traverser. Il y en a de belles, de généreuses, de banals. Mais, parfois, il faut se ranger et laisser passer.
Il en fut une vraie en janvier 1887. Nous sommes à Québec.
Après le froid terrible d’hier, il s’est élevé la nuit dernière une tempête qui, depuis ce matin, a dégénéré en ouragan. Nous avons rarement vu un temps pareil : neige, vent et froid, rien n’y manque. Et puis d’incessants et épouvantables tourbillonnements qui vous navrent et vous asphyxient presque !
La bourrasque a décapité plus d’une cheminée et en a fait flamber quelques-unes pour lesquelles les pompiers ont été appelés. Sans compter les portes arrachés, les clôtures abattues et probablement les fils télégraphiques, téléphoniques et de lumière électrique brisés. […]
Cet après-midi, l’ouragan a redoublé de violence, et franchement tous ceux qui sont forcés de sortir sont bien à plaindre, car que l’on marche de front ou à reculons, on ne peut éviter les tourbillons qui nous assaillent de tous les côtés à la fois et qui nous suffoquent.
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Voilà pour la journée du samedi, 15 janvier 1887, dans Le Canadien.
Deux jours plus tard, le quotidien de Québec y revient.
C’est vendredi soir que l’ouragan qui sévissait depuis la nuit précédente a atteint son apogée. Le vent avait de sinistres sifflements et faisait tourbillonner des masses de neige qui s’amoncelaient partout. Il était impossible d’y rien voir et il est étonnant que quelqu’un n’ait pas péri dans cette effroyable tourmente qui surpasse en violence tout ce qu’on a vu à Québec dans ces dernières années.
Vendredi, un charretier nommé Montigny s’est gelé les deux mains en se rendant à la Basse-Ville chez lui à St-Sauveur. Il faudra peut-être recourir à l’amputation.
D’autres personnes se sont gelé la figure. Quant au nombre de nez et d’oreilles qui ont eu à souffrir de la tempête, il est considérable.
Samedi matin, une foule de rues étaient coupées par des monticules de neige, et les laitiers, qui ont été les premiers à y passer, s’en rappelleront.
En maints endroits, la neige avait bloqué portes et fenêtres, et les voisins ont dû délivrer les prisonniers. […]
Toutes les voies ferrées sur les deux rives ont été interceptés. Les convois sont restés enneigés en divers endroits, et le service des malles a été interrompu.
Samedi, un véritable régiment de journaliers armés de pelles et de charretiers conduisant des tombereaux ont été occupés à enlever la neige qui obstruait la circulation en beaucoup d’endroits.
L’ouragan s’est apaisé graduellement, et le soleil a même eu des velléités de se montrer.
N’oublions pas de dire que les canotiers ont fait preuve vendredi soir d’un rare courage, en traversant les malles à Lévis, au plus fort de la tempête. […]
Hier, la journée a été très belle, et en dépit des chemins qui étaient partout des plus mauvais, les promeneurs n’ont pas manqué.