«Éloge des chats»
L’homme et l’enfant, tous deux un peu égoïstes, j’allais dire un peu tyrans, prennent plus volontiers le chien pour ami. Celui-ci, toujours prêt à aller au-devant, sans appel, est un compagnons plus commode. Il donnera beaucoup, exigera peu, subira les caprices (nous n’en avons que trop avec nos bêtes). Plutôt que de vivre seul, de lui-même, il s’asservit.
Ce n’est certes pas moi qui ferai le procès du chien, si près de l’homme par le regard et le dévouement. Mais sa banalité me désole. Il est tout à tous, à l’étourdie, sans faire de choix. Sous l’œil du maître le plus chéri, il lèche la main du premier inconnu qui se présente. On s’écrit : «Oh ! la bonne, l’aimable bête !» Je n’y contredis pas, mais je souffre de cette sensibilité à tout venant. N’est-ce pas un peu vulgaire ?
Pour le chat, l’étranger, c’est presque l’ennemi. Ce matin même, le tapissier est venu; ma chatte arrive peu après son départ. Elle ne sent pas moins que quelqu’un est entré. Elle hume l’air, flaire le parquet, dresse et grossit sa queue, plisse le front, me regarde avec un certain courroux qui dit : «Tiens, qui est là ?…»
Si vous introduisez vote chat dans une nouvelle demeure, il va s’isoler dans un coin, y prendre ses notes sur les visages et les choses. Sa nervosité singulière subtilisant ses sens, il se fera assez vite une opinion. Si rien ne lui plaît, son parti est pris; il s’esquivera par la première porte ouverte. S‘il reste, c’est autant pour les personnes que pour les lieux.
Mais vous ne le verrez pas tout de suite «être chez lui» et familier. Il y met du temps. Il faut aussi qu’on gagne son amitié, qu’il ne partage pas. Cette exigence me plaît. Elle est d’un être libre et fier, qui, en se donnant, s’appartient.
Mme J. Michelet.
L’Album universel (Montréal), 16 avril 1904.