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Une tempête fin novembre en forêt

couverture-haskell

L’Américain David G. Haskell, biologiste, a vécu une expérience étonnante. Dans les collines d’une forêt ancienne du Tennessee, il s’est donné un petit espace d’un mètre de diamètre, un mandala inspiré de la conception tibétaine, qui veut que toute la vie s’y trouve résumée. Et, pendant un an, à tous les 15 jours, il s’y rend, outils très fins en main, pour observer l’évolution du lieu.

Cela donnera The Forest Unseen : A Year’s Watch in Nature, chez Penguin Books. La traduction est parue en 2014 chez Flammarion, Un an dans la vie d’une forêt, traduction de Thierry Piélat.

Arrêtons-nous à une partie de sa réflexion du 21 novembre.

Dans la forêt, les tempêtes ont un caractère plus sauvagement élémentaire que dans les zones urbaines. Une grosse averse a quelque chose de grisant; l’odeur des feuilles, la lumière grise, la fraîcheur soudaine apportent une bouffée de plaisir sensoriel. Mais dans une tempête violente au point d’abattre les arbres, le stade du plaisir est dépassé et la peur surgit. Le crépitement de la pluie se mue en tumulte des rafales, la canopée se soulève sous la pression du vent. Le tronc des arbres se balance dans un sens et dans l’autre, ploie au-delà de ce qui semble possible, puis se redresse brusquement. Tous mes sens en éveil, je jette des regards inquiets alentour. […]

La tempête sème la confusion : mes yeux ruisselant de pluie voient trouble, j’ai les oreilles bouchées par le rugissement du vent dans le feuillage, le sol vacille sous mes pieds. Cette confusion se traduit par une envie impérieuse de fuir, mais, à moins qu’il n’y ait des rochers ou d’autres abris à proximité, cette fuite serait vaine. […] L’imagination s’emballe et le moindre craquement sème l’alarme. […] La chute d’un gros arbre est ce que je redoute le plus, mais la peur n’a pas d’exutoire et je reste assis là, les yeux écarquillés, jusqu’à ce que la tempête se calme. Au plus fort de la tourmente, mon impuissance me procure une étrange sensation de réconfort.

Comme je ne peux rien faire pour arrêter le déchaînement dans lequel je suis pris, je capitule et cet abandon s’accompagne d’un curieux état : une clarté d’esprit enveloppée d’un corps électrisée.

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