«Écrire en souvenir de demain»
Un jour, durant les années 1960, l’historien, critique d’art et poète Guy Robert eut envie de publier un panorama de la poésie québécoise entre 1950 et 1970. L’ouvrage que je possède date justement de 1970, Littérature du Québec. Poésie actuelle (Montréal, Librairie Déom).
Vingt-six poètes, femmes et hommes, y ont place.
Il présente ainsi Gaston Miron (1928-1996), ce cher Gaston :
Né à Sainte-Agathe-des-Monts, à 60 milles au nord de Montréal en 1928, Gaston Miron a pratiqué plusieurs métiers et plusieurs crédos, et joue un rôle important dans la poésie du Québec depuis 1953. Fondateur des Éditions de l’Hexagone, il a semé un peu partout des inspirations et des provocations. Ses poèmes, une cinquantaine peut-être, n’ont pas encore été rassemblés en recueil.
Voici le premier fragment de La marche à l’amour, dédié à Rose Marie.
Tu as les yeux pers des champs de rosées
tu as les yeux d’aventure et d’année-lumière
la douceur du fond des brises au mois de mai
pour les accompagnements de ma vie en friche
avec cette chaleur d’oiseau à ton corps craintif
moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches
moi je fonce à vive allure et entêté d’avenir
la tête en bas comme un bison dans son destin
la blancheur des nénuphars s’élève jusqu’à ton cou
pour la conjuration de mes manitous maléfiques
moi qui ai des yeux où ciel et mer s’influencent
pour la réverbération de ta mort lointaine
avec cette tache errante de chevreuil que tu as
tu viendras toute ensoleillée d’existence
la bouche envahie par la fraîcheur des herbes
le corps mûri par les jardins oubliés
où tes seins sont devenus des envoûtements
tu te lèves, tu es l’aube dans mes bras
où tu changes comme les saisons
et je t’ai prise marcheur d’un pays d’haleine
à bout de misères et à bout de démesures
je veux te faire aimer la vie notre vie
t’aimer fou de racines à feuilles et grave
de jour en jour à travers nuits et gués
de moellons nos vertus silencieuses
je finirai bien par te rencontrer bondieu
et contre tout ce qui me rend absent et douloureux
par le mince regard qui me reste au fond du froid
j’affirme ô mon amour que tu existes
je corrige notre vie.