Oups, la petite Gaspésienne a de ces pensées par ce soir d’été !
Il faisait bien beau ce soir-là.
Une légère brise d’un vent tiède versait par rafales la douce odeur des marguerites et des foins nouvellement fauchés; ce léger parfum filtrait comme un nuage embaumé à travers les feuilles des bouleaux, des hêtres, des frênes et des saules qui ombrageaient la route.
La pleine lune se levait tout là-bas, derrière la montagne, une à une les étoiles scintillantes s’allumaient dans l’azur sombre du ciel, et deux rossignol, perchés sur les arbres, se renvoyaient l’un à l’autre, comme dans le chant d’un psaume, les inimitables accents de leurs mélodieux versets.
Sur la grande route noyée d’ombre et qui, par instants, paraissait toute blanche sous les rayons de la lune, un jeune homme et une jeune fille marchaient lentement, savourant avec délices le charme de cette belle soirée.
Maurice était grand, très grand même, blond avec des yeux bleus profonds et doux; sur son visage se lisaient une grande bonté et aussi un peu de tristesse. Souvent, son regard lumineux s’attachait sur sa compagne qui, petite et frêle, formait avec son cousin un grand contraste. Autant il paraissait absorbé, autant elle était joyeuse, la petite cousine, très brune, avec des grands yeux noirs, très malins parfois, un petit nez retroussé et des cheveux d’ébène; elle eut paru laide sans un je ne sais quoi sur sa figure mutine et dans ses prunelles de velours qui charmaient et attiraient. Quand une fois on avait vu ce visage d’enfant aux yeux tantôt gais ou tristes, tendres ou mutins, il était impossible de l’oublier.
Elle avait dix-sept ans et on lui en eut donné à peine quinze à cette mignonne enfant tant elle paraissait enjouée et rieuse, ce soir-là, raillant parfois son compagnon sur son air triste et rêveur.
«Tu ne sais pas pourquoi je suis triste quand tout est joyeux ? questionnait-il, enfin d’une voix douce ? — Ma foi, non, Monsieur mon cousin, répondit l’enfant rieuse, et je ne sais pas non plus pourquoi tu soupires si souvent. Vrai, cela me donne envie de pleurer. — Pleurer, toi, mignonne ? Oh ! non, ne pleure pas; si je ne suis pas gai ce soir, c’est que… — Que quoi ? — Vois-tu, cousine, j’aime de toute mon âme, je suis jaloux et je souffre. Comprends-tu maintenant ? — Oui, je comprends, murmura la jolie brune en devenant rêveuse à son tour.
«Et veux-tu savoir quelle est la petite fée qui s’est emparé de mon cœur ?» L’enfant ne répondant pas, le jeune homme s’empara d’une de ses mains, et la baisant, murmura : «C’est toi, mignonne, c’est toi que j’aime à en devenir fou. Vois-tu, depuis le premier jour où je t’ai vue, je n’ai cessé de t’aimer; j’ai essayé de résister, mais je n’ai pu; toujours, il me semblait te voir, t’entendre; tes grands yeux noirs, du premier coup, avaient pris mon âme sans retour.
«Et je t’aime, je t’aime, je t’aime, ma charmante.» Et il couvrait de baisers fous la petite main que la gentille cousine ne retirait pas. «Dieu que je suis heureuse ! murmura-t-elle tout coup. — Heureuse ! as-tu dit ? — Oh ! oui, soupira la brune enfant, bas, si bas que le grand cousin dut se pencher pour l’entendre…
Et la lune paraissait plus brillante, la route plus blanche et les rossignols plus gais, comme si la nature eut voulu elle aussi fêter le chaste et pur amour que Dieu avait mis dans ces deux rêveurs faits l’un pour l’autre.
Petite Gaspésienne.
La Patrie (Montréal), 1er août 1903.