«La bicyclette canonisée»
En tout lieu du monde, le cyclisme a ses partisans et ses détracteurs. Mais les reproches qu’on lui fait et les louanges qu’on lui adresse varient selon les peuples et les mœurs.
En France, on l’accuse de rendre les femmes laides, de détourner des exercices intellectuels les jeunes gens des deux sexes, uniquement occupés de «temps» et de «records», etc…. Dans les pays anglo-saxons, on envisage le cyclisme et ses rapports avec la religion.
Nous avons récemment reproduit les doléances de quelques pasteurs américains, d’où il résultait que l’habitude des promenades matinales éloignait les populations du temple et du service divin; nous avons conté le pieux artifice de ces vénérables personnages, promettant à leurs ouailles, pour y déposer leurs machines pendant la prière, des garages d’un confort inconnu jusqu’à ce jour… Voici qu’un autre pasteur entre en lice, et celui-ci est un partisan chaleureux de la vélocipédie.
D’après lui, la bicyclette, loin d’être un instrument de perdition, serait un instrument de salut. L’argumentation de l’éminent prédicateur est d’ailleurs fort ingénieuse. «La moitié des doutes que l’on conçoit sur la religion à notre époque, dit-il, proviennent de la dyspepsie; le cyclisme est donc le restaurateur de la foi. Tous les croyants doivent louer l’inventeur de la pédale et de la chaîne; il prépare le règne de Dieu sur la terre. Si je le connaissais, je le canoniserais volontiers.» C’est au docteur Shaw, de New-York, que l’on doit ces vues originales sur l’éthique de la bicyclette.
Le Canada français (Saint-Jean-sur-Richelieu), 21 août 1896.