Un regard original depuis Sainte-Anne de Beaupré
Habituellement, au Québec, lorsqu’on parle de Sainte-Anne de Beaupré, à 34 kilomètres à l’est de Québec, on évoque immédiatement ce haut lieu de pèlerinage depuis le 17e siècle.
Cependant, voici maintenant un autre coup d’œil. Attention : français parfois laborieux.
Quel décor ici pour le tableau kaléidoscopique qui s’offre aux regards du pèlerin, tous les jours de la belle saison, — c’est-à-dire pendant au moins six mois de l’année !
Vers le nord, c’est d’abord, au premier plan, la côte élevée, mouchetée de verdure et s’élevant en pente abrupte à plus de 300 pieds de hauteur, — où elle horizontalise en un large plateau, parsemé de vieilles et solides maisons du temps passé, occupées par les familles des véritables «naturels» de ce coin de pays : les cultivateurs.
C’est à peine si, aux jours extraordinaires des grandes manifestations, les flegmatiques habitants de ce plateau élevé daignent dévaler de leur forteresse naturelle, pour aller voir ce qui se passe «en bas».
Il n’y a guère que les boum ! boum ! des gros tambours et les hurlements enragés des cuivres bizarrement contournés qui parviennent à leur faire quitter un instant leurs instruments de travail pour venir jeter un coup d’œil distrait de la crête de leur falaise, sur la foule qui se bouscule à leurs pieds. […]
Au sud-est du village, c’est le fleuve, — ou plutôt le bras septentrional du St-Laurent qui enserre la taille de l’île d’Orléans, côté du dos : car la gracieuse île de «Bacchus» (comme la nomma Jacques Cartier) regarde l’autre bras deux fois plus considérable du fleuve par les milliers d’yeux de ses habitants qui, en majorité, demeurent sur la rive méridionale.
Du village même de Ste-Anne, on voit parfaitement le bout d’en bas de l’île, à quatre ou cinq milles en aval.
Entre le cap Tourmente, au nord, et la pointe orientale de l’île, au sud, s’entrevoient assez distinctement, dans les temps clairs, l’île aux Réaux, la Grosse-Île, l’île aux Grues et quelques autres du petit archipel servant de sentinelles perdues à la reine des lieux circonvoisins : Québec.
Des hauteurs de Ste-Anne, cette vision d’îles verdoyantes, qui ceinture notre fleuve incomparable, vous donne l’irrésistible désir de circuler, dans un bon yacht, au milieu de ses immenses corbeilles de verdure, percé par les molles ondulations des vagues et les cheveux ébouriffés par la bise rafraîchissante. […]
Que je vous sillonnerais donc sans désemparer, ô flots aimés du St-Laurent !
À l’heure où je vous écris, le vapeur «Trois-Rivières» arrive au quai, chargé de pèlerins.
La journée est splendide et le vent d’ouest essuie la sueur qu’un soleil éblouissant fait surgir de la peau, au moindre effort de la machine humaine.
Esculape.
La Patrie (Montréal), 11 juillet 1902.
La carte postale de Sainte-Anne de Beaupré, une photographie de J. P. Gosselin vers 1910, est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec dans le Vieux-Montréal, Fonds Laurette Cotnoir-Capponi, Cartes postales, cote : P186,S9,P320.