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«Le bonheur aux champs»

maison sous la neige

Tout juste sous le poème d’Albert Lozeau, Patherine souhaitait témoigner.

Est-ce faute de frappe ou son vrai prénom, mais voilà, c’est Patherine. Et au journal Le Canadien, du 22 mai 1909, on l’a placée dans la même page que celle de Lozeau. La voici.

Le bonheur aux champs

Peut-on être heureux à la campagne ?

Moi qui ne l’ai jamais quittée, je l’affirme. Beaucoup prétendent le contraire car l’habitant des villes a peine à se figurer comment on peut trouver le bonheur dans le travail de la ferme, travail fatigant peut-être, mais jamais monotone; fertile au contraire en pittoresques scènes et délicieuses surprises.

 Il ne comprend pas, puisqu’il ne l’a jamais éprouvée, la poésie d’un pré vert qu’encadrent de blondes moissons, la chanson mélancolique du ruisselet qui berce nos rêves, le charme incomparable d’une légère embarcation volant sur l’eau bleue d’un lac qu’effleure au vol l’aile noire d’un martinet.

Le bonheur ! Mais qu’est-ce que le bonheur, sinon l’assemblage de tous ces petits faits, de ces riens qui amènent un sourire ou sèchent une larme.

À ceux qui ne croient pas au bonheur, je dédie cette petite histoire très véridique :

C’est le soir d’une belle journée de mai. Il est sept heures, tout travail a cessé et, dans la petite maisonnette, qui mire son toit noirci dans l’eau calme de l’étang, le repas du soir est terminé. Pendant que l’active ménagère enlève le couvert, le père se lève, va prendre un violon suspendu à un clou à l’un des murs de la salle, et en tire quelques accords.

Dans un coin, un antique harmonium où la mère s’installe. Et ses doigts courant sur le clavier d’ivoire, elle accompagne la mélodie que chante le violon.

Ce n’est pas du Chopin ni du Mozart, mais cela fait la joie des deux bambins qui écoutent ravis, immobiles. Déjà Paul, un homme puisqu’il a dix ans, s’essaye à manier l’archet qu’il trouve un peu long pour ses doigts, et Mademoiselle Lili monte et descend gravement la gramme musicale et rêve, la petite ambitieuse, de remplacer la maman qui sourit heureuse du bonheur de ses chers enfants. […]

Non vraiment, ce n’est pas au sein des cités populeuses qu’il faut chercher le vrai bonheur. C’est à la campagne, dans la modeste maison du cultivateur, que nous en voyons les plus délicieuses définitions. Là point de ce sot égoïsme qui veut tout pour soi d’abord, mais au contraire règne la plus parfaite intimité […].

Restons chez-nous, enfants de la campagne ! Restons fidèles au sol qui nous a vu naître. Ne nous laissons pas séduire par le reflet d’un bonheur factice et n’envions pas aux habitants des villes le paillon volage qu’ils poursuivent sans pouvoir l’atteindre.

C’est ici qu’il se trouve; ne le laissons pas s’envoler.

Restons chez-nous.

PATHERINE.

 Cedar Hall [Val-Brillant], Cté Matane.

 

L’illustration est de Berthe Chicoine. Elle apparaît dans l’ouvrage d’Adéla Lessard Boivin, Tableaux d’autrefois, publié à Québec en 1944.

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