Dans la série «Là où me mènent mes ânes» (3)
Le 3 mai dernier, j’ai démarré une nouvelle série, celle-ci sur les ânes, histoire de nous permettre de découvrir ensemble au Québec qui est l’âne, comment on en parle et ce qu’on en a dit, et quel rôle il a joué dans l’histoire humaine.
Dans ce billet : le lait d’ânesse.
Au Québec, sous le Régime français, dès 1720, on sait que le lait d’ânesse peut avoir des vertus thérapeutiques. Devant le «grand nombre de personnes souffrant de maux de poitrine», le médecin Michel Sarrazin demande d’envoyer quelques ânesses «sur les prochains vaisseaux du roi».
Au 19e siècle, en France, on va découvrir que le lait d’ânesse, véritable lait maternisé, est supérieur au lait de chèvre pour nourrir les nouveaux-nés abandonnés. À l’hospice des Enfants assistés de Paris, on avait remarqué que beaucoup d’enfants confiés à l’assistance publique venaient au monde «aux trois quarts moribonds», de faiblesse ou de maladies. Et les bonnes nourrices se faisant rares, on a nourri certains marmots au lait d’ânesse.
En 1882, pendant six mois, quatre-vingt-six enfants (atteints de maladies congénitales et contagieuses) ont été allaités à la nourricerie. Des six premiers nourris au lait de vache, un seul a guéri. Des 42 au lait de chèvre, huit ont guéri. Et des 38 nourris au lait d’ânesse, 28 ont guéri.
«Ne croyez pas d’ailleurs qu’on soit resté jusqu’à ce jour sans connaître les vertus du lait d’ânesse. Depuis bien des années, Paris et les grandes villes ont chaque matin la visite de troupeaux d’ânesses qui viennent fournir aux convalescents, aux débiles, le liquide réparateur.
«S’il faut en croire la légende, l’usage du lait d’ânesse fut introduit en France sous le règne de François 1er. Le galant monarque était tombé dans un état d’anémie, d’épuisement extrême, par suite de fatigues guerrières et autres. Les médecins du temps n’obtenant aucun changement dans cette maladie, on fit venir de Constantinople un juif qui ordonna simplement au roi de boire du lait d’ânesse; ce qu’il fit et s’en trouva très bien, dit la chronique.
«C’est la composition chimique du lait d’ânesse qui lui assure ses avantages sur le lait de chèvre ou de vache. Il contient, en effet, beaucoup moins de matières plastiques [sic] et de beurre que ces derniers. Comme le lait de femme, il se précipite en petits flocons isolés, que redissout facilement un excès de suc gastrique. Il ne charge pas l’estomac de ces enfants malades et chétifs qui ont déjà toutes les peines du monde à ingurgiter le breuvage et à qui il faut éviter, autant que faire se peut, un travail pénible de digestion. S’il était facile de s’en procurer, le lait de jument serait, de tous, le meilleur succédané du lait de femme; il en a, à très peu de chose près, la composition, et une médecin russe, M. Berling qui l’a essayé, lui a reconnu toutes les qualités nécessaires pour l’allaitement des nouveaux-nés.
«M. Parrot [le médecin parisien des Enfants assistés] fait encore ressortir les grands avantages de l’ânesse comme laitière sur la chèvre, par ce côté tout à fait pratique, de la facilité avec laquelle on peut pourvoir à la nourriture de la première. Maître Aliboron [nom donné à l’occasion à l’âne en France] est un animal sobre et facile à contenter; le fourrage le plus pauvre, l’herbe la plus médiocre lui semble des friandises. La chèvre se ressent d’une nourriture forcément peu variée; à la ville, son lait n’est pas ce qu’il est à la campagne, alors qu’elle peut se livrer à ses fantaisies vagabondes et choisir à droite ou à gauche les herbes qui lui plaisent.»
Acart, «Nourricerie d’enfants au lait d’ânesse», La Nature, tome 19 (1882), p. 209s. L’illustration est rattachée à cet article.
L’illustration est superbe. Et le terme « nourricerie » : un si beau mot perdu ou oublié.
Une image, en effet, assez incroyable, remontant à plus de 130 ans. Ça m’a amené à me demander que faisaient les communautés religieuses féminines d’ici, qui ont tant pris soin de nos enfants abandonnés, faute de nourrices.
Je n’avais jamais aperçu auparavant le mot de «nourricerie».
Merci beaucoup, chère Christiane.