L’invocation de la Providence
Dans la société traditionnelle, lorsqu’une population est impuissante devant un fait de la nature d’une bonne durée, voilà qu’elle prend la rue pour implorer l’aide de la Providence.
On se souvient du bloc d’argile qui, le 30 avril 1894, s’était décroché à la hauteur de Saint-Alban dans le comté de Portneuf et avait «réveillé» les rives de la rivière Sainte-Anne jusqu’à son embouchure, créant beaucoup de dommages et faisant des morts.
Dix jours plus tard, l’événement se poursuit.
Les dernières dépêches reçues de Sainte-Anne de la Pérade disent que huit ou neuf maisons ont été précipitées dans l’abîme formé par l’éboulis hier et qu’une vingtaine d’autres seront aussi précipitées sous peu, car le penchant sur lequel elles sont bâties est miné rapidement par le courant de la rivière. […]
Hier et aujourd’hui, les membres du clergé de Ste-Anne, ainsi que les enfants de chœur et les fidèles de la paroisse, ont promené dans le village la croix et une relique de sainte Anne pour arrêter le fléau. La rivière a considérablement baissé ce matin et, cependant, les éboulis se continuent comme de plus belle. Vers minuit, la seconde maison s’est engloutie.
À 11 heures, il y avait sept maisons et cinq granges de disparues, d’autres suivront inévitablement.
Mgr Laflèche, évêque de Trois-Rivières, accompagné de quelques membres de son clergé, est venu visiter les lieux de l’accident, aujourd’hui.
À 2 heures, il n’y a rien de bien changé. Les deux constructions les plus menacées restent penchées au sommet de la berge. La marée montante a interrompu les opérations, mais on ne perd rien pour attendre, car voici le baissant qui commence. Ces deux habitations appartiennent à Mme veuve Bochet et à M. Louis Laflèche.
Cette partie du village est dans l’animation : on démolit les maisons de T. Rompré et de veuve Delphis Trudel, ailleurs on recule au moyen de treuils le magasin de M. le maire J. A. Rousseau et la maison de M. Trefflé Arcand, forgeron.
On calcule que la côte a perdu une largeur de 25 pieds [7, 6 mètres] depuis hier soir.
Dans un petit ravin en haut de l’éboulement, où l’eau de la rivière s’introduit, le terrain s’émiette aussi et une maison est menacée.
Le Pacifique [la compagnie de chemin de fer] a mis ses wagonnets à la disposition des délogés pour transporter leurs meubles d’une rive à l’autre.
La Patrie, 10 mai 1894.
